21. Grandeur et décadence

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Le souffle chaud de la créature sur sa nuque suivit la vampire pendant ce qui lui sembla des heures. Elles remontèrent dans les artères de la terre, les lourds pas de l'animal faisant s'enfuir la vermine. Nulle lumière n'éclairait leur périple, les laissant seule dans une angoisse sourde qui, lentement, remuait les entrailles de l'immortelle. L'odeur était nauséabonde, mélange de chair pourrie et de corps en décomposition.

Apolline marchait pourtant d'un pas déterminé, une ligne marbrant son front de pierre. Plus d'une fois elle voulut se retourner pour ordonner que l'autre s'éloigne et ne plus sentir contre sa peau la moiteur du souffle rauque. Elle garda pourtant ses mots pour elle, sentant que les griffes dangereuses de la créature pouvaient transpercer son derme avec la facilité d'une lame contre de la chair humaine.

Elles franchirent une porte détruite, offerte en souvenir par le seul encadrement qui l'avait autrefois soutenue. La température chutait un peu plus à chaque peau, l'odeur se faisait plus forte à chaque nouvelle respiration. Bien qu'elle n'est plus besoin d'air, Apolline se forçait à respirer, apprenant plus dans les fumets que dans sa vision tronquée par les ténèbres.

Ses yeux s'écarquillèrent pourtant brutalement lorsqu'elles pénétrèrent dans une pièce sortie tout droit des pires cauchemars de la vampire. Le lieu, faiblement éclairé par quelques torches abimées, était un charnier. Les corps s'amoncelaient, dans des états plus ou moins discutables. Apolline leva une main choquée devant sa bouche, prenant une brusque inspiration, reste trop mortel de sa récente étreinte. L'odeur la déchira, lui broya la gorge, appelant un ancien reflexe de régurgitation qu'elle croyait pour de bon disparu. La mort était partout, dans les visages éclatés de bonheur ou détruit par la douleur. Elle raisonnait dans les positions improbables, dans les gorges déchirées et les regards vides. Les peaux, plus blanches encore que l'hermine du roi, avaient déjà commencé à moisir.

Un rat releva la tête devant elle, ses moustaches frémissantes avant de détaler, suivit par ses confrères. Les tâches grises s'échappaient de chaque trou et firent rouler derrière elle un bras détaché. Depuis combien de temps les corps étaient là ? Buffet géant, festin gratuit à l'odeur de pourrie.

Il n'y avait ici plus une once de sang, juste de la chair jetée là par quelques mains coupables.

Apolline offrit un regard rempli de questions à la créature qui l'accompagnait et cette dernière se contentant de hausser les épaules dans un geste bien trop humain. Elle avança, évitant les corps au milieu de la pièce en longeant les murs vierges. La vampire observa les murs, d'une propreté terrifiante, en parfaite opposition du charnier qui s'étalait devant elle. Elles étaient dans une cave, en témoignaient les murs de chaux et de terre durcie.

Pourquoi devaient-elles passer par ici ? La main sur le cœur, évitant de regarder les corps, Apolline se sentait trembler. L'assurance de la vampire s'était envolée, happée par l'horreur qui pourtant attirait son regard dans une fascination morbide.

La créature l'attendait au pied d'un escalier de pierre. Elle souffla dès qu'Apolline arriva à ses côtés avant d'éclater de son rire de hyène. L'immortelle ne chercha pas à lui répondre, laissant derrière elle ce qu'elle aurait préféré ne jamais voir. Quiconque avait fait ça ne pouvait qu'être un monstre, qu'un démon sortie tout droit de l'Enfer. Humaine, elle aurait fui. Aujourd'hui, elle ne le pouvait plus. Car, même si la peur terrassait son cœur, elle sentait que la créature ne la laisserait pas déguerpir. Elle avait été conviée, certainement par les auteurs des crimes dont les preuves n'étaient plus que des souvenirs. S'ils étaient capables de ça....

Mais Apolline pouvait compter sur son corps mort. Son effroi n'avait plus rien de visible et elle modela son visage sur un calme olympien. Pas de mains moites, pas de cœur battant trop forts. Au milieu des monstres, l'immortelle devait se rappeler qu'elle était comme eux. Une créature nocturne, un parasite se gavant de sang pour exister.

Evangeline [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant