27 - La Bête en ce monde git

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— Votre Grâce.

Le son seul de sa voix suffit à irriter la marquise. Juta n'avait pas changé. Le même sourire en coin glissait sur ses lèvres teintes de vermeil. La même crinière d'un roux éclatant, ici remonté en une coiffure sophistiquée. Elle avait glissé, à droite de son oeil clair, une mouche outrecuidante, allant de pair avec son décolleté plongeant.

Autrefois, Evangeline avait été jalouse de son physique tout en courbe, de son charme flamboyant et de ses paroles acérées.

La vampire plisa à peine le nez.

Elle ne répondit pas au salut, s'installant derrière sa coiffeuse, comme durant une époque révolue où elle était encore humaine. Pourquoi Jutta était-elle de retour ? Celle à l'origine de ses mots, chienne jetée contre le Gévaudan, n'avait plus rien à faire dans le monde de la vampire.

Evangeline se mentait, elle le savait. Les immortels aimaient la compagnie de garoux, comme autant de petits chiens de compagnie bien dressés. Jutta devait être celle de Jean-François, choisie pour sa sauvagerie et son art des complots. Ils allaient si bien ensemble. Durant une seconde, Evangeline se demanda à quoi ressemblait la cameriste sous sa forme lupine. Elle avait lu chaque article de journal alors que la Bête sévissait encore. On la disait si grande qu'elle en avait cauchemardé.

Jutta ne se montrerait pas aussi facilement.

Elle s'approcha, emportant son odeur animale dissimulée sous une fraîche brise rosée avec elle. Ses doigts se glissèrent dans les cheveux d'Evangeline et, dans des gestes millement répété, entreprirent de discipliner les boucles. Ses doigts tiraient, plus que de raisons mais la marquise refusait de parler devant celle qu'elle avait tant détesté. Par le biais du miroir, elle l'observait. Loin de l'illusion première, la louve avait légèrement vieillit. Puis là, juste au dessus de sa lèvre supérieure, une détail surpris Evangeline. Une cicatrice, minuscule, mordait la chair.

— Ca te questionne hein ? glissa, amusée, Jutta.

— Pas plus que votre présence.

La voix d'Evangeline claque dans l'air mais ne reçut pour toute réponse qu'un sourire.

— Les vampires ne sont pas tous aussi appréciables que ton cher Jean-François...

Une flamme vacilla dans le regard de Jutta, gonflés de souvenirs qu'Evangeline aurait rêvé croquer à pleine dent pour en comprendre tous les sous entendus. Mais la louve ne lui laissa pas l'ombre d'une ligne pour tracer son passé. Elle enchaîna, tronquant le virevoltement du feu contre l'amusement éternel de son visage.

— Ils ne t'ont rien appris finalement ici ? Tu as dû voir quelque un de mes frères, écouter à quelque portes pour en découvrir plus mais tu ne sais rien n'est-il pas ?

— Cela ne vous concerne pas Jutta. Faites votre travail pour une fois, c'est tout ce qui vous est demandé.

— Ne soit pas si agressive Apolline.

Evangeline ne pu s'empêcher de se retourner. Trois ans que personnes n'avait prononcé ce prénom. Trois ans qu'elle même l'éloignait, comme un souvenir chéri bien caché, enfoui sous le masque de mille mensonges.

— Je ne m'appelle plus ainsi.

— Tu ne vas pas me faire croire que tu es restée la même petite victime que celle attendant sagement que Jean-François se glisse entre tes draps ? Le charme partie, et une fois devenue vampire, tu aurais dû te réveiller. Tu aurais du le haï...

— Il suffit.

Elle n'éleva pas le ton.

Jutta ferma pourtant la bouche, surprise. D'Evangeline suintait le pouvoir de son sang, grinçant contre sa peau et heurtant l'instinct de la louve. Jutta frissonna, avant d'incliner la tête sur la droite. Ses yeux, dans lesquels frémissaient une flamme mordoré, ne lâchaient désormais plus la marquise. Ses gestes eux-même s'étaient arrêtés. Elle attendait, à l'affût. Jamais Jutta n'avait autant ressemblé à un chien de chasse, surveillant le moindre geste de sa proie avant de bondir.

Mais, contrairement aux années passées, la proie n'était plus Evangeline.

— Parlez moi du Gévaudan. Pourquoi ?

Jutta lutta. Ses muscles se crispaient, son visage hurlait de haine. Evangeline n'arrêta pourtant pas. Combien de fois s'était-elle entraîné dans le plus grand secret, espérant s'offrir la puissance des garous pour s'échapper si elle restait encore trop longtemps enfermée entre les murs du manoir ? Trop. Jamais assez pour la vampire.

— Répondez Jutta.

— Octave voulait la région, cracha la louve, sa mâchoire tremblante. L'Ordre avait trop de pouvoirs là bas et la populace obéissait au doigts et à l'oeil de l'évêque de Mende. Il n'était pas des nôtres. Que pouvions-nous faire ? Le choix lui avait été donné mais le comte était intransigeant. Jean-François a été envoyé, en ma compagnie. Je devais semer le chaos et me présenter aux bases gens comme une créature envoyée par le Très-Haut. Les maurauds sont si naïfs. Bien sur qu'ils ont mordu à l'hameçon qui leur était tendu. Puis Jean-François est tombé sur toi et... Il y a eu un léger contretemps. Je ne devais pas attaquer sur votre territoire. Il a vu la localisation comme une opportunité contre ta famille. Bah, ce coquart n'aurait cru qu'il tomberait amoureux. La peste soit de ses sentiments.

— Vous mentez, souffla Evangeline.

— Comment diantre le pourrais-je ? siffla la louve en retour. Jean-François a obligé ton père à plier l'échine et il en aurait presque oublié ses devoirs après du Prince. J'ai du intervenir, faire accepter les termes du contrat à l'évêque et j'ai dû t'accompagner pour te surveiller. J'aurais cru qu'il se lasserait de sa nouvelle poule bien avant. Où qu'il daignerait te présenter comme Calice à la cour. Il n'a jamais rejoint le Prince. Il m'a offert en pâture pour expliquer ses actes. Octave n'est pas connu pour sa parcimonie.

Evangeline ne répondit rien. Ses yeux fixaient leur vis à vis. La flamme, tremblottante, s'était réveillée dans le regard de Jutta. Les souvenirs y brûlaient comme autant de plaie toujours à vif. La cicatrice n'était certainement qu'une parmi tant d'autre. Qu'un minuscule morceau de chair déchirée. La marquise n'osait imaginer l'était de son corps, caché sous la robe. Seuls ses attributs ne souffraient d'aucun sévices. Eux servaient.

Elle ne détourna pourtant pas le regard. L'acier de ses iris s'était adoucis. Jutta la détestait, elle le sentait dans l'odeur prédatrice régnant dans la pièce. Mais Evangeline ne pouvait s'empêcher d'éprouver de la pitié pour elle.

Elle la libéra.

Jutta ne s'éloigna pas. Elle n'attaqua pas. Elle hurlait de défiance mais ne fit pas un geste en direction de la marquise.

— Merci, souffla Evangeline.

Elle n'eut droit à aucune réponse. Jutta se remit au travail, évitant méticuleusement son regard. 

Evangeline [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant