31 - A Dieu

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— Je ne suis pas désolée, souffla-t-elle en entrant.

Comme si elle avait besoin de le dire. Sa trahison hurlait jusqu'à l'arme tâchée du sang de sien qu'elle arborait devant elle. Elle n'avait pas besoin d'explication. Ce moment devait arriver, ils avaient seulement été assez fous pour ne pas le voir.

Le regard de Jean-François lui arrachait le cœur mais elle ne pouvait plus faire marche arrière. La tête haute, Evangeline observait les deux hommes. Le Prince la toisait de toute sa morgue, sourire amusé au creux des lèvres. Seul son Sire semblait se rendre compte de ce qu'il se passait, de la fin qu'elle orchestrait.

Les épais murs du bureau d'Octave atténuaient les sons mais, ils les entendaient. A l'extérieur, les cris fondaient, crisaient et feulaient même sans discontinuer. L'Ordre détruisait leur monde. Les loups s'entredéchiraient. Les épées hurlaient, sous le couvert de la lune, leur rage.

Evangeline ne tremblait pas. Ses yeux clairs volaient d'un vampire à l'autre. Elle ne changeait pas d'expression et pourtant, là, quelque part au fond de son être, elle espérait que Jean-François retourne son arme, cesse de protéger celui qui enfantait la mort et la douleur. Elle priait, ce Dieu bien assez éloigné de lui.

Son Sire se plaça devant le Prince.

Elle inclina alors la tête. Il avait choisi son camps. C'était trop tard pour qu'ils puissent faire marche arrière. Evangeline caressa de ses doigts fins la porte de bois, tournant la clé. Cela ne retiendrait pas l'Ordre bien longtemps. Elle ne voulait pas être interrompu. C'était sa vengeance, son instant. Si elle savait bien que, seule face à deux vampires adultes, elle ne pourrait pas faire grand chose. Mais elle espérait que les mots de Jutta étaient vrais. Que sa puissance était désormais au deça de ses espérances.

Elle attaqua avant qu'ils ne se jettent sur elle. Octave, tel un vieux chat fatigué, se décala seulement sur le côté et l'arme d'Evangeline frappa le vide. Le contre coup fut violent. Jean-François heurta son dos, frôlant l'armure dérisoire de la jeune femme. Le cuir gémit sous le choc. Elle se retourna, vivement, juste assez pour éviter le second coup qu'il lui portait. Leurs regards s'ancrèrent. Elle y lut autant d'excuses que de détermination. Il ne lui laisserait pas le choix.

Evangeline ne voulait pourtant pas le tuer. Elle évita son second assaut, tenta d'user de sa vitesse pour le contourner mais ne reçut qu'un nouveau coup dans le flanc. Son souffle se coupa, brusquement, réflexe encore trop humain.

Elle voulut parer, il lui arracha son épée d'un mouvement faciile. Qu'étaient trois ans, face à une éternité d'entraînement ?

Il arma, épée trop haute au dessus de la tête. Elle n'avait que ses crocs pour toutes réponses. Ses yeux quittèrent ceux de Jean-François, cherchant une alternative. Octave regardait la bataille. Dieu qu'elle lui aurait fait manger ce petit sourire satisfait qu'il abordait. Elle voulait lui faire ravaler sa flegme. Jamais son Sire n'aurait pu l'attaquer quand ils n'étaient encore que tous les deux. Jean-François était un monstre mais, dans un passé obscur, il l'avait aimé.

Elle évita une nouvelle attaque. La danse recommença entre eux sans qu'elle ne parvienne à rattraper son épée. Elle n'osait porter le moindre coup quand lui visait sa poitrine sans discontinuer. Il l'effleura à de trop nombreuses reprises. Le sang, lentement, commençait à tapisser les vêtements de la vampire.

Le spectacle finit certainement par ennuyer Octave car il se mit en mouvement. Trop vite pour les yeux jeunes d'Evangeline. Il frappa, d'un seul geste. Aussi précis que le glas d'une église.

Elle s'écroula sur le sol brutalement.

Ses lèvres s'ouvrirent sur un torrent de sang alors que sa respiration se bloquait.

Ses yeux glissèrent jusqu'à la plaie, transperçant sa poitrine, offerte par les griffes démesurées du prince vampire. Jamais elle n'avait vu telle arme, jamais elle n'aurait cru qu'il puisse abandonner sa sainte fierté pour attaquer de lui-même.

Evangeline se sentit partir avant même qu'il n'ait arraché ses ongles de son corps. Son visage s'écrasa sur la pierre. Elle toussa, éclaboussant le marbre de sang. Elle n'avait pas réussi. Ils ne réussiraient pas. Elle avait failli.

Elle entendu plus qu'elle ne vit quelqu'un tomber à genou à ses côtés. Des mains touchèrent son visage. Elles la relevaient, dans un brouillard délicat. Deux yeux bleus se perdirent dans les siens. Evangeline voulu lever la main, ne parvient qu'à bouger les doigts.

— Je suis désolé.

Ne le soit pas.

Evangeline ne parvient à articuler aucun mot. Elle tremblait, de froid. Entre les bras du vampire, elle avait l'impression de ne peser que quelque gramme. Ses yeux, lentement, se fermaient. Il ne l'avait pas encore tué. Octave était un prédateur et agissait comme tel. S'amusant de l'agonie mais plus encore du jeu.

— Achève là Jean-François, ordonna-t-il.

Elle l'aurait parié. Il voulait que ce soit de la main de son créateur qu'elle meurt. N'avait-il eu assez de preuve de l'allégeance du vampire ? Ne lui avait-il assez montré qu'il ne serait jamais du côté de sa fille ?

Elle se força à observer son Sire. Ses traits, toujours aussi durs, n'offraient aucune réponse sur ses pensées. Aujourd'hui, encore, elle aurait aimé lire derrière la ligne brutale de ses sourcils. Comprendre ce qui le faisait tenir, découvrir ses plus noirs secrets et ses plus belles idées.

Il ne leva pas son arme. Jean-François la déposa sur le sol et, avant même qu'Octave ne puisse réagir, il trancha l'air de son épée. L'instant se figea. Venait-il vraiment de.... ?

Ce fut le bruit mat d'une tête tombant sur le sol qui réveilla l'immortelle. Les yeux, encore ouvert, du prince la fixaient. Il ne restait, dans leur reflet rougeâtre, que la surprise la plus totale.

Les lèvres d'Evangeline s'étirèrent sur un O muet.

Jean-François ne s'occupa pas de la tête sur le sol. Il ne s'approcha pas du corps de son père. S'est à genoux qu'il tomba, une nouvelle fois, aux côtés de son enfant. Il ne souriait pas, offrant seulement cette petite ligne d'inquiétude sur son front qu'elle avait tant de fois moquée. Elle était humaine autrefois. Elle était vivante.

Le froid, maitre provocateur, continuati son long chemin. La mort du Prince ne l'arrêtait pas, pas plus que le poignet couvert de sang rapproché du visage de la vampire. L'hémoglobine sentait si bon. Empreinte de souvenirs, d'une nuit qu'Evangeline avait presque oublié. Les événements s'étaient enchaînés à toute vitesse après cet instant hors du temps. Les corps également, comme autant de charnier qu'elle emporterait dans la tombe.

— Reste avec moi ! hurla Jean-François.

Evangeline n'eut le courage de lui répondre que par un sourire fatigué.

Il pressa son poignet contre sa bouche, la forçant à ouvrir les lèvres pour que le sang pénètre en elle. Evangeline ne déglutit pas. Il appuya, plus fort encore. Tempeta, invoqua tous les noms de dieux que son éternité lui avait fait connaître.

La vampire n'essayait pas. Elle voyait un autre visage remplacer lentement celui du vampire. Les belles boucles noisettes et la fossette, là, juste sous le menton. Simon lui tendait la main, souriant comme autrefois. Il baignait dans une telle lumière.

Elle la saisit. 

Evangeline [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant