— Tout ça pour ça ?
Dans la pièce où les moines l'avaient amené, Apolline tempêtait. En face d'elle, assit sur un lit de fortune, son frère tenait sa gorge. Une compresse d'eau chaude entre les doigts, il pansait tant bien que mal la blessure que la vampire lui avait infligé. Si elle n'avait eu le temps de boire beaucoup de sang, elle avait bien assez abîmé la chair.
Cette dernière ne s'occupait pas vraiment des grimaces de douleur de son frère.
Elle faisait les cent pas, lionne en cage. La colère marquait ses traits. L'impression terrible d'avoir été trompée ne la quittait pas. Apolline goûtait à l'amertume de la manipulation subie. Ils l'avaient fait mordre son frère, gouter à son propre sang. Les poings serrés, la marquise découvrait des démons qui avaient trop souvent enivrés Jean-François. Ses poings s'enfoncèrent dans un mur, ricochèrent contre la pierre sans aucune douleur. La roche gémit mais ses nerfs étaient déjà passés sur d'autre partie du mobilier.
Elle se retourna vivement vers son frère. Ses yeux bleus brillaient d'une colère à peine retenue. Tout son être irradiait et le regard qu'elle jeta au soldat parlait plus encore que ces lèvres.
— Tout ça pour qu'ils voient si je n'allais pas te tuer ? Ils pensaient quoi ? Que j'étais un pitoyable animal sauvage ? Et toi ! Tu les as laissé faire Jean-Joseph ! Tu n'as rien dit, tu n'as pas protesté !
— Je te faisais confiance Apolline. Il suffit s'il te plait. J'ai besoin de repos, pas de t'entendre geindre.
— Sinon quoi ! Ils t'ouvriront la gorge pour que je m'y abreuve pour de bon ?!
Un soupir franchit les lèvres de son frère. Il détourna les yeux, ravivant encore plus la colère de sa sœur.
Apolline gronda et s'éloigna de lui. Elle s'approcha de la fenêtre entrouverte, d'où l'air glacé venait caresser son visage. L'extérieur semblait paisible. Sous la lueur fantomatique de la lune, les feuilles dorées se paraient d'argent. A pied des arbres, l'épais tapis de l'automne se transformait, amoureux du regard d'Hécate. La forêt était toute proche, presque a porté de ces envies. Elle ne ressemblait à rien de ce qu'elle avait autrefois connu. Le Gévaudan était loin et, entre les murs gris de Paris, jamais la nature n'arrivait à se faufiler.
La marquise n'avait pas vu la nouvelle saison approcher, pas même pris la peine de regarder le monde changer. Les jours s'étaient enchainés, les mois transformés en années. Depuis combien de temps avait-elle quitté sa province natale ?
Elle finit par se retourner, prenant appui sur les bordures en pierre.
— Tu es disposée à discuter maintenant ? questionna son frère.
La marquise leva les yeux au ciel, un soupir s'échappant de ses lèvres claires. Lui, contrairement au souffle de son frère, n'émettait pas la moindre fumée blanche. Elle l'enjoint pourtant à continuer du regard, malgré sa moue agacée.
— Ils devaient te tester. Nous n'avons jamais eu de vampire dans nos rangs et, malgré tout ce qu'ils peuvent dire, nous ne savons pas comment vous fonctionnez.
— Pas plus que moi Jean-Joseph. C'est mon créateur que vous auriez dû garder, pas moi.
— Jean-François était une menace. Il nous aurait exterminé et n'aurait pas envisagé une seule seconde de nous suivre. Tu peux apprendre ce que nous savons déjà sur les tiens. Découvrir de toi-même le reste.
— Et vous servir d'expérimentation ? Regarde-moi bien mon frère. Tu crois vraiment que j'ai l'air de pouvoir vous donner la moindre réponse ? Je ne sais même pas depuis combien de temps Jean-François m'a tué. Je ne sais même pas comment il l'a fait. Je n'ai pas d'autre souvenirs que la douleur. Si je ne vous suis d'aucune utilité...
— Ils ne te tueront pas Apolline. Ils ne prendraient pas autant de risques pour te détruire. Tu vas apprendre. Tu chasseras pour eux. Tu tueras pour eux. Nous avons besoin de vampires pour détruire les vampires.
— Vous parvenez très bien à le faire seuls...
Le silence pour seule réponse. La marquise leva une nouvelle fois les yeux au ciel. Son frère ne lui donnerait satisfaction. Elle le savait sans même avoir besoin de le demander. Les questions se bousculaient pourtant dans son esprit, amplifiée par le mutisme qui leur faisait face.
Jean-Joseph se leva, s'approchant d'elle. Il posa une main sous son menton, comme lorsqu'elle n'était qu'une enfant. Captura son regard de ces iris si semblables aux siens. Le sourire, sur ses lèvres, aurait été contagieux autrefois. N'effleurait plus que la roche maintenant.
Il déposa pourtant un baiser sur son front avant de la prendre dans ces bras.
Dans son étreinte, Apolline se sentit minuscule. Sa colère bouillonnait toujours, là, quelque part vers son cœur. Mais elle laissait place à un profond sentiment de solitude qui balayait tout sur son passage. Ici peut-être aurait-elle enfin, au détriment de réponses, quelqu'un. Qui l'écouterait et serait là.
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Evangeline [Terminé]
ParanormalGevaudan, 1764. Alors que la Bête fait des ravages dans le Gevaudan, Apolline d'Apcher est mariée contre son grès à Jean François de Morangiès, puissant marquis de France, soutenu par l'Eglise et le peuple. Elle n'imagine pas qu'elle a été offerte...