7- Les chaines d'un maitre

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Janvier 1768 | France - Paris, hôtel particulier de Jean-François de Morangiès

Apolline laissa un profond soupire s'échapper de ses lèvres, son visage reposant dans sa paume. Jean François discutait devant elle, une magnifique tenue d'un rouge écarlate brodée de filet d'or mettant en avant sa chevelure aussi sombre que les ailes d'un corbeau. Le marquis argumentait face à celui qui se tenait devant lui et auquel Jutta faisait les yeux doux. Inspirant un peu plus fort, la jeune femme se racla la gorge, offrant à trois paires d'yeux de se darder sur son visage. Faisant glisser ses doigts sur une boucle brune, elle leur offrit son plus grand sourire avant de se lever, rassemblant ses jupons.

« Vous me voyez désolée monseigneur mais je sens la fatigue alourdir mes paupières. Monsieur mon époux. » ajoute-t-elle à l'intention de Jean-François avant de lui offrir une petite révérence discrète.

De ses iris azurés, il la toisa quelque secondes, cherchant à lire dans ses yeux les causes de son départ mais le visage de la marquise était indéchiffrable. Laissant son regard se poser à nouveau sur son invité, il ne prêta pas la moindre intention à la demoiselle qui déguerpit sans demander son reste, sans pour autant se rendre compte de la présence de Jutta derrière son épaule.

Apolline se rendit jusqu'à la bibliothèque où elle avait continué ses recherches au cours des quatre mois qui s'étaient écoulés. Si elle n'avait pas réussi à obtenir une réponse de la part du poète, elle avait continué le journal de son époux et son cœur se serait à chaque fois que ses iris s'attardaient sur les lettres à la calligraphie parfaite. Ses doigts glissèrent sur le velours alors qu'elle s'accrochait aux mots et que son imaginaire la menait jusqu'à un Jean-François plus jeune et plus humain que celui qu'elle croisait de plus en plus souvent. Vampire tout nouvellement né, il chassait dans l'ombre, loin de cet homme qu'il était devenu. 

Perdue dans ce monde, Apolline peinait à trouver la chaleur de l'astre solaire intéressante. Elle ne parvenait plus à quitter la bibliothèque, happée par des souvenirs qui n'étaient pas les siens. Ses nuits devenaient ses jours alors qu'elle lisait. Elle avait fini le premier tome et avait cherché le second pendant deux longs mois avant de le découvrir derrière une œuvre d'un philosophe. Assise sur un fauteuil bordé de dorure, elle lisait le deuxième journal avec une envie dantesque. Il avait tant écrit sur les mystères de sa vie d'immortel. A travers ses textes, elle apprenait à le connaitre. Elle rencontrait avec lui ses quelques figures historiques qu'il avait connu, de près ou de loin. Elle avait l'impression d'être à ses côtés et la plume de cet homme la faisait voyager jusqu'aux lointaines contrées de l'Italie romaine.

« C'est donc ainsi que tu occupes tes journées ? Lire tout de la vie de celui qui a eu la gentillesse de faire de toi sa femme. Faire des recherches sur les crocs qui ont transpercé ta peau si blanche. Pas le moindre galant qui vient éclairer les instants où ton cher Jean-François est absent. J'aurais cru que tu lui faisais porter des cornes.»

Apolline sursauta avant de se retourner vivement. Jutta la toisait de toute sa hauteur, un sourire goguenard sur ses lèvres pleines, une main sur sa hanche et ses yeux brillants de malice. La marquise lui jeta son regard le plus noir avant de soupirer et de lui répondre, glaciale :

« Ce que je fais de mes journées ne te concerne pas Jutta. Je ne te le répéterai pas une fois de plus. N'oublie pas où est ta place, n'oublie pas qui je suis. Tu n'es qu'une simple roturière et tu oses te permettre des choses que même la noblesse ne ferait en ma présence. »

L'éclat doré que la jeune femme avait déjà remarqué dans les prunelles de sa dame de compagnie apparu à nouveau et, avant qu'elle n'ait pu effectuer le moindre mouvement, une main avait agrippés sa gorge. La rousse s'était déplacée bien trop vite, comme l'eut fait Jean-François dans le passé. Le regard de Jutta n'était plus le même, empli par une lueur oscillant entre l'ambre et l'or. L'iris se transformait de secondes en secondes, tant par sa couleur que par son aspect. Sa pupille s'était dilatée et ses lèvres se découvraient sur des dents bien trop longues pour une bouche humaine.

Evangeline [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant