12 - Evangeline

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« Il te faut choisir une nouvelle identité Apolline. Tu n'es plus la mortelle que tu fus autrefois »

Les mots glissèrent aux oreilles de la nouvelle née sans qu'elle ne parvienne à en attraper le sens. Elle était immobile, encore couverte de sang et de fluide en tout genre. Son corps absorbait lentement le trop plein d'hémoglobine dont elle s'était gavée pendant le massacre. Ses joues, encore roses, perdaient de leur couleur à chaque nouvelles minutes qui s'écoulait.

Pire encore, son cerveau refusait de se remettre en marche. La douce Apolline ne parvenait pas à analyser la frénésie qui l'avait envahit et elle ne pouvait pas accepter l'horreur qu'elle avait commis.  Elle voyait encore le sang qui giclait, la terreur qui se peignait sur le visage de ceux qu'elle avait tué.  Elle sentait encore le goût de leur vie. Mais un seul la hantait véritablement. Celui de l'homme dont elle était tombée amoureuse et dont le nom lui revenait comme une litanie. Celui qu'elle avait pris plaisir à massacrer et dont elle s'était presque amusée alors que la soif en elle la possédait. Jean-François avait trop bien réussi son jeu en lui présentant Simon comme premier repas. Apolline avait envie d'hurler, de gémir, de crier plus fort qu'elle ne l'avait jamais fait.

Mais elle restait silencieuse, enfoncée dans la douleur que les images lui infligeaient.

"Réponds moi Apolline. ordonna le vampire.
- Je veux garder mon prénom Jean-François. Ne l'as-tu pas déjà assez changé en y accrochant ce nom qui ne doit pas même être le tien ? Ne m'as-tu déjà pas assez transformé à ton goût ? Je ne changerais pas d'identité. C'est bien la seule chose qui me rappelle que je ne suis pas un monstre comme toi !" grogna la jeune fille, relevant ses iris baignées de larmes jusqu'à son créateur.

La gifle partie, bien plus forte que celles qu'il lui offrait quand elle n'était qu'une mortelle.

Apolline ne bougea pas, pour la première fois de son existence. Les coups de Jean-François pouvaient bien pleuvoir, ils ne feraient qu'érafler le diamant que semblait être devenue sa peau.  La nouvelle née avait froid mais sentait brûler, au plus profond de son coeur, le sang de tout ceux qu'elle avait tué. S'ajoutait le goût salé que lui avait laissé son époux alors qu'ils s'étaient jeté sur leur couche pour des ébats qui auraient tué la fragile mortelle qu'elle avait été.  Elle sentait tout et pourtant elle avait l'impression de ne rien percevoir sur son corps.

Apolline n'avait pas l'impression d'avoir changé. Sa vue était plus précise, son odorat plus puissant mais elle se sentait toujours prise au piège. Peut-être même plus qu'avant. Le charisme de Jean-François lui semblait moins puissant, comme si le fait d'être devenue identique à lui avait fait disparaître le lien qu'il avait crée entre eux. Les machinations du vampire lui éclataient au visage et elle se sentait bien trop faible. Elle savait, parfaitement, qui était son époux mais elle s'était laissée engluer par ces trop sombres pouvoirs. Comme une colombe, elle avait laissé les ténèbres attaquer la blancheur de ses ailes. Elle ne s'en rendait compte que maintenant. Quand il était trop tard pour faire marche arrière.

"Que penses-tu d'Evangeline ? lança Jean-François, sans même daigner répondre aux mots qu'elle lui a offert. Aussi pure que tu l'étais mais cachant au plus profond de son âme une véritable démone, capable des pires massacres."

Les paroles étaient susurrées, faites pour entrer dans la cervelle de la marquise et s'y implanter. Elle ne répondit pas, tournant seulement ses yeux jusqu'aux fenêtres derrière lesquelles elle sentait les lourds rayons du soleil. Peut-être pouvait-elle se donner la mort ? Disparaître et oublier les images macabres qui la hantaient ? Les vampires craignaient-ils le soleil ? Après tout, elle n'avait jamais vu son époux lorsque l'Astre était à son apogée.

"J'aimerais que tu me laisses seule Jean-François" demanda-t-elle, levant ces yeux jusqu'à celui qui l'avait rendue immortelle. "J'ai besoin de temps pour réfléchir... et pour te pardonner ce que tu m'as fais faire."

Le silence lui répondit, pour la première fois depuis ce qui semblait des siècles. Le vampire la fixait, une expression insondable sur le visage.

Puis un sourire étira ses lèvres avant qu'il ne lance, sarcastique :

"Je ne t'ai rien fais faire Evangeline... Tous les morts que tu as laissé sur ton passage sont de ton seul fait. C'est toi qui les a tué... Certainement pas moi. Mais soit. Reste seule pour cette nuit. Mais demain, nous allons à Versailles et tu n'as pas ton mot à dire. Le roi organise un bal et tu sais aussi bien que moi que notre absence serait remarquée. Après tout, tu veux garder jusqu'à ton prénom alors ne changeons pas nos belles habitudes."

Sur un dernier sourire plein de terribles promesses, il tourna les talons, claquant la porte de la chambre dévastée derrière lui.

Ce fût seulement lorsqu'elle n'entendit plus le moindre bruit qu'Apolline attrapa une plume et une feuille de parchemin.

Il avait passé une étape qu'elle n'aurait jamais cru possible et elle ne le laisserait pas s'en sortir de la sorte. Sans cette illusion qui lui cachait les yeux, la marquise se sentait bien plus lucide.

Et elle allait cruellement lui faire payer de l'avoir rendue si clairvoyante.


Chapitre offert à anthea1659 pour sa gentillesse sans faille et grâce à qui j'arrive à me relancer dans les aventures de ma petite puce. Filez lire ses histoires, elle a une plume inoubliable.

Je tiens également à m'excuser pour cette absence trop longue et pour avoir boudé Evangeline pendant si longtemps. C'est maintenant fini et on dit bonjour au grand retour de la petite immortelle et au début de ce qui pourrait être un second tome !

N'hésitez pas à me dire dans les commentaires ce que vous avez pensé de ce chapitre, je suis légèrement rouillée avec ces persos :)

Evangeline [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant