Chapitre 3

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Je n'ai pas fini ma phrase qu'elle me tourne le dos, et si vite, qu'elle en oublie son sac. Quand je la vois revenir, je reste imperturbable. À la perte de mes soi-disant amies, c'est mon orgueil qui a été blessé. Rien de dramatique. Mais Justine... c'est mon cœur qui va souffrir.

— J'ai commandé une bouteille, dit-elle en s'affalant.

— Quoi ?!

— Je ne sais pas laquelle de nous deux en a le plus besoin, mais c'est sûr qu'on en a besoin, Angie.

Elle saisit ma main et me force à reprendre ma place.

— À quoi pensais-tu ? Tu as cru que j'allais te planter là ? Que j'allais te juger et te tourner le dos ?

— Que je ne vaux pas grand-chose, pour accepter de...

— Ne dis pas de conneries !

Elle me tend un verre et nous trinquons avant d'avaler cul sec.

— Bon, maintenant explique-moi comment il est possible que tu n'aies pas vu ce type. Parce que je t'avoue que j'ai du mal à comprendre.

— Quand père m'a tout raconté, j'ai pensé qu'il me suffirait d'aller plaidoyer et de demander un délai, quelque chose de ce genre. Je n'avais pas de plan... J'étais d'une stupidité et d'une naïveté affolante. Il aurait pu bénéficier d'un échéancier... à condition que la société dont la créance était la plus importante fasse un effort. Alors, je suis allée au siège et j'ai demandé à voir le PDG...

— Et tu l'as vu ?

— Tu parles ! Mais je suis revenue, chaque jour, pendant une semaine, du matin jusqu'à la fermeture des bureaux. Le vendredi, une secrétaire à qui je devais faire pitié, m'a demandé ce que je voulais exactement, et comme je n'en étais pas à une humiliation de plus, je lui ai tout raconté. Elle m'a assuré qu'elle en parlerait à son patron, mais que ce n'était pas la peine de revenir. Tu te doutes bien que je ne l'ai pas écoutée. Une autre semaine est passée et le vendredi suivant, elle est revenue avec une enveloppe. C'était le contrat.

— D'accord, d'accord, murmure-t-elle. Tu as cherché sur internet ?

— Oui, mais rien, pas une photo de lui et très peu en ce qui concerne sa famille. Sa date de naissance et encore je ne suis même pas certaine qu'elle soit exacte.

— Quel âge ?

— La trentaine.

— C'est mieux que rien. Quoiqu'avec un vieux débris tu finirais veuve, riche et encore jeune, remarque-t-elle avec un grand sourire. Tu as le contrat avec toi ?

J'ai tellement peur que mon père ne tombe dessus, qu'il est toujours dans mon sac. J'extrais l'enveloppe que je lui tends. Elle lit avec attention puis de sa main libre compose un numéro sur son portable.

— Qui appelles-tu ?

— À ton avis ? Si tu dois signer ce truc, autant mettre toutes les chances de ton côté.

— Non !

— Si !

Sarah, la seule de nous trois à avoir fait des études dites « sérieuses ». J'ai préféré me tourner vers ma passion pour les fringues et obtenir un diplôme de styliste, quant à Justine, elle est décoratrice d'intérieur. Autant dire que ni elle, ni moi, n'avons trouvé de travail dans nos secteurs respectifs, à part quelques CDD, grâce aux relations de nos parents. La fortune de mon père ne nécessitait pas que je trouve un job à tout prix. Et je dois avouer que je ne cherchais pas beaucoup non plus. Sarah s'est dirigée vers le droit. Elle a toujours été la plus studieuse, et surtout la plus ambitieuse. Son diplôme d'avocate international à peine en poche, elle est partie en Angleterre, où elle est restée deux ans. Ses supérieurs ont vite remarqué le requin qu'elle était et lui ont proposé un poste à Toronto en tant qu'associé Junior. Justine lui fait un compte rendu des plus précis. J'avale un autre shoot de vodka avant de coller mon oreille à l'appareil.

— Tu comptais m'en parler quand Angie ?

— Je t'en parle...

— Ne joue pas à ça avec moi, me coupe-t-elle agacée. Je t'ai appelé il a deux jours et tu ne m'as rien dit. Rien. À moi.

Sa voix s'est adoucie sur le dernier mot. Elle m'en veut de mon silence, c'est tout. J'ai presque envie de pleurer.

— J'ai honte. Si tu savais à quel point je me fais horreur...

— Écoute-moi bien, tu sais ce que je pense de l'amour...

Justine, collée contre moi pour ne rien manquer de la conversation, éclate de rire et lui lance :

— Une histoire à deux balles ! On sait la grande romantique que tu es.

— Quand on voit le nombre de divorces et le temps que tient un mariage en moyenne, faut arrêter de croire au père Noël, les filles ! Réveillez-vous ! À la finale, un bon contrat entre deux personnes, consentantes, bien-sûr, a autant de chances, si ce n'est plus, de durer dans le temps. Donc, Angie, si tu penses que tu peux et veux le faire, je suis avec toi.

Je reste soufflée.

— À ton avis, continue-t-elle, combien de femmes ouvrent les cuisses alors qu'elles n'ont plus aucune envie de leurs maris ?

— Je n'en sais rien.

— Beaucoup plus que tu ne le penses. Et combien encore simulent l'orgasme pour en finir au plus vite ?

— Quelques-unes... certainement.

— La plupart, Angie. Parce que ne va pas croire qu'après dix ans de mariage, le type au ventre bedonnant, qui ronfle tous les soirs, qui puent l'alcool et j'en passe, ne vas pas croire que ce type lui colle des grands frissons d'extases.

— Merde Sarah, tu es d'un cynisme parfois ! l'interrompt Justine.

— La seule chose qui les empêche d'envoyer leurs maris au diable, c'est la peur de perdre ce qu'elles ont. Que ce soit un appart dans le seizième ou un bouge en pleine banlieue. Crois-moi, et la plupart ne s'en sortiront pas avec un pactole aussi beau que le tien. Il n'y a qu'à voir le succès du site SugarDaddy !

— Elle marque un point là, ajoute Justine avec un clin d'œil. Le seul hic c'est qu'elle ne connaît même pas sa tronche.

— Elle n'aura qu'à fermer les yeux, rétorque Sarah.

— Tout ce que je sais, c'est que je ne vois pas d'autres moyens. Je n'ai aucune autre option si je veux continuer à...

Je n'ai pas besoin d'en dire plus. Je sais qu'elles m'ont compris toutes les deux.

— Je sais, ma puce, dit Sarah d'une voix pleine de tendresse. Si tu t'en sens capable, envoie-moi le contrat et je m'en occupe illico. Et avant d'oublier comment vous vous appelez, n'oubliez pas de me donner la date du mariage.

— Tu... tu viendras ?

— T'es malade ou quoi ! Bien sûr que je serai là. Vous me manquez les filles. JE VOUS AIME ! Bisous d'amour !

Justine raccroche et me serre contre elle en murmurant :

— Si ça se trouve, ton futur mari est peut-être une bombe atomique. Et bientôt, tu seras mariée à Geoffrey... de Peyrac.

Angélique marquise des anges... Si j'ai été baptisée Angeline, la raison en est à la passion que ma mère portait à cette saga littéraire, cela aurait pu être pire. À dix ans, nous sommes tombées sous le charme de ce film. À notre décharge, nous étions des gamines. Adolescentes, nous avons partagé des fous rires monstrueux à chaque rediffusion, mais nous ne pouvions nous empêcher de les regarder en rêvant aux princes charmants. Évidemment, Sarah se bidonnait.

— Angélique ?

— Marquise, ma belle !

— Affreux ?

— Chirurgie esthétique !

Avec une petite grimace espiègle, j'ajoute :

— Boiteux ?

— On lui filera des talonnettes !

Et nous éclatons de rire.



Le Contrat - {Sous contrat d'édition}Sortie le 18 juillet avec TéléStar...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant