Chapitre 18

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Je caresse du regard la ligne élégante aux influences art déco de l'immeuble qui sera ma nouvelle résidence jusqu'au jour du mariage. 

Pour aller chez Justine, je passais fréquemment devant. Avant. Étrange coïncidence. Me voilà de retour dans mon ancien quartier et à peine à quelques rues de mon précédent domicile. Rien n'a changé. J'y retrouve la même faune féminine, évoluant dans un périmètre bien délimité et avec des codes particuliers. J'en faisais partie. Avant. Et maintenant ? En ai-je toujours envie ? L'arrivée de Justine met un terme à mon questionnement.

— Vraiment, je regrette de n'avoir pas été là hier ! S'exclame-t-elle en m'embrassant. En plus, j'aurais été très heureuse de revoir le bel Aïdan. Donc, tu dînes avec Geoffrey lundi et tu n'as pas peur des conséquences ? Je ne pense pas qu'il reste sans riposter.

— Il a déjà commencé, dis-je alors que nous entrons dans le hall. Je dois être en robe et sans sous-vêtements.

Pendant que Justine étouffe un rire, j'explique au portier que je suis la fiancée de monsieur Lancaster et que oui, j'ai bien les clés, je les secoue sous son nez, et que oui, monsieur Lancaster a sans doute oublié de l'informer, mais par ailleurs pourquoi l'aurait-il fait ? Et que oui, il peut tout à fait lui téléphoner s'il veut vérifier mes dires. Mais je le préviens que monsieur Lancaster risque de ne pas apprécier du tout quand je lui préciserai à mon tour comment son portier m'a interdit l'entrée de l'appartement. Ma déclaration fait mouche.

— Le malheureux a déjà dû subir les foudres de Lancaster, chuchote Justine en me suivant dans l'ascenseur. Tout bien réfléchi, ça ne me déplairait pas de subir Lancaster, continue-t-elle avec un sourire, et pour ce qui est d'avoir ou non une petite culotte...

Agacée, je hausse les épaules.

— Qu'est-ce qui ne va pas Angie ? C'est quoi cette tête ?

Je mets la clé dans la serrure et ouvre sans lui répondre. L'entrée en demi-cercle distribue trois portes. Je me dirige vers celle du milieu, Justine sur les talons.

— Angie, y a un problème ou quoi ?

Une immense baie vitrée donne sur un balcon et offre une vue époustouflante sur une partie des jardins du Trocadéro et la tour Eiffel.

— Pas mal, non ?

Justine me pousse vers un canapé et me force à m'asseoir.

— Oui, le panorama est super, rétorque-t-elle en prenant place à mes côtés. Mais on s'en fout d'avoir une carte postale devant les yeux. Ce que je veux comprendre, c'est pourquoi tu fais cette tronche et ne me racontes pas de conneries, c'est clair ? Qu'est-ce qui te tracasse ?

— Je n'en sais rien. C'est juste que...

Comment lui expliquer ce que je n'arrive pas moi-même à toucher du doigt.

— Comment ça tu n'en sais rien ! On sait toujours ce qui ne va pas, ce qui cloche. Ce n'est pas cette histoire de petite culotte, hein ? Putain Angie, en plus ce mec est à tomber ! Tu as une chance de dingue.

C'est vrai, elle a raison. Alors, pourquoi j'éprouve ce malaise indéfinissable ? Ce truc qui me porte sur le cœur.

— Tu t'en rends compte au moins ?

— Je crois qu'à choisir, j'aurais préféré qu'il soit normal, plus banal quoi, éventuellement même carrément laid, dis-je alors qu'elle saisit mes mains et s'exclame :

— Mais t'es malade ! Comment peux-tu proférer une connerie pareille ?

Je me dégage et me mets à faire les cent pas dans le salon, les bras en tous sens. J'ai les nerfs à fleur de peau. Je suis à cran, et cela depuis des jours. Depuis la signature, en fait.

— Oui, je sais, mais franchement, j'imagine que j'arriverai à mieux gérer cette situation s'il était... enfin... s'il n'était pas lui.

Justine est sidérée. Moi aussi.

— Le pire c'est que je le pense vraiment, Juju. Les choses seraient plus claires entre nous.

— Comment ça plus clair ? Il me semble que c'est assez évident avec le contrat que vous avez signé, non ?

— Je suis sa pute, Justine, ça, c'est très clair, merci !

— Et tu préférerais être celle d'un gros porc ?! Merde ! Je t'assure que je serai capable de payer pour m'envoyer en l'air avec lui, et je ne dis pas ça pour te remonter le moral, crois-moi. Et arrête de déclarer à tout va que tu es sa pute.

— Mais c'est pourtant ça, dis-je la voix rauque. Tu peux le retourner dans tous les sens, je ne suis que ça et si ça à l'air cool dans les livres, dans la réalité c'est atroce.

— Je crois... commence-t-elle en m'enlaçant, que je comprends. S'il était laid, tu ne ressentirais pas cette ambivalence vis-à-vis de lui, ce serait difficile, insupportable, mais pas insurmontable. Alors que là, même si tu as la situation en horreur pour tout ce qu'elle représente, tu ne peux t'empêcher d'apprécier, et c'est cette contradiction qui te bouleverse. Comment aimer ce que tu condamnes, sans te désapprouver toi-même, c'est ça, non ?

Je laisse couler mes larmes. Justine ne dit plus rien, elle attend, me serre contre elle. Fort. Elle est mon roc. Mon point d'ancrage dans ce chaos. Je m'accroche.

— Je ne parvenais pas à mettre des mots sur ce que je ressentais. Tu as fait une bonne synthèse du merdier que j'ai dans la tête en ce moment. J'ai peur de finir par me perdre, de ne plus être celle que j'étais ou de ne pas aimer celle que je suis. Hier, j'avais des certitudes et aujourd'hui, je ne sais plus...

— Oui, mais tu découvriras une nouvelle Angeline, plus forte. Beaucoup plus forte. Et si j'aime celle d'hier, j'aime aussi celle d'aujourd'hui, et j'aimerais celle de demain tout autant. C'est au-delà d'une certitude, Angie, c'est tout simplement indéfectible.

— Oh, Justine, si tu étais un mec je t'épouserais sur le champ...

— Tu es au courant qu'une nouvelle loi est passée, me coupe-t-elle avec un clin d'œil, plus rien ne nous en empêche, mec ou pas mec.

— Oui, je sais bien, dis-je en pouffant de rire, mais il y a certaines petites choses que j'apprécie chez ces messieurs et la nature t'en a malheureusement dépourvue.

— Devine un peu, il se trouve que je suis bien contente de ne pas avoir un truc qui pend entre mes cuisses, clame-t-elle en se levant brusquement, puis se mettant à déambuler dans le salon, elle ajoute : bon, maintenant que tu as compris qu'une opération pour changer de sexe est inenvisageable, et cela malgré tout l'amour que je te porte. Que penses-tu de faire le tour du propriétaire ?

L'appartement est composé de deux grandes chambres, chacune disposant de leur salle de bain, d'une cuisine ultra moderne et équipée d'un matériel haut de gamme pour une personne aimant cuisiner, ce qui n'est absolument pas mon cas, d'une lingerie, et d'un triple salon avec vue. Justine, ayant endossé sa panoplie de décoratrice, décide déjà des modifications nécessaires. Sa bonne humeur me contamine et comme deux gamines excitées nous passons d'une pièce à l'autre en prenant des photos et des notes. Après tout, je vais vivre deux mois dans cet appartement avec mon père, autant le rendre plus chaleureux et dans mes goûts. 

Quand soudain une voix retentit dans l'entrée :

— Geoffrey ? Chéri, tu es là ?

— Chéri ?! nous exclamons-nous en chœur.


Le Contrat - {Sous contrat d'édition}Sortie le 18 juillet avec TéléStar...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant