chapitre 11

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Éric, le Boss, me lance un clin d'œil.

— Ça roule, Angie ? Dépêche-toi, y a foule ce soir et je veux que le tiroir-caisse soit plein à craquer avant minuit.

— Ça va.

Je file ensuite dans le bureau qui nous sert autant de vestiaire que de fumoir pendant nos pauses. Je range mon sac, accroche ma veste et passe le petit tablier noir en coton sur moi, puis je retourne en salle. La musique est déjà très forte. Ce bar de quartier affiche complet tous les vendredis et samedis, grâce aux concerts. On peut aussi y dîner, une cuisine sans prétention et néanmoins savoureuse. Éric utilise des produits frais, rien d'industriel, uniquement du « fait maison ». La clientèle de la semaine est plus tranquille, plus âgée, alors que celle du week-end, est à l'image des groupes qu'elle vient écouter, jeune et déchainée. Mais Éric, et Tony, le videur, ont l'œil sur nous, les serveuses.

— Trois vodkas, deux coupes, dis-je en débarrassant mon plateau de verres sur le bar. Et... deux california common

Éric éclate de rire.

— Je me suis encore trompée ?

— Non, ma belle, au contraire, ça commence à rentrer, répond-il en préparant les boissons.

— Avant d'arriver ici, je connaissais deux ou trois marques de bière. De là à imaginer qu'il en existe plus de mille, et que tu en proposes plus d'une centaine différente...

— Cent cinquante, pour être exact, me coupe-t-il en me glissant le plateau rempli. Mais je reconnais que tu te débrouilles plutôt bien. Surtout quand on pense à tes débuts...

— Stop ! Ne dis rien de plus.

Mes débuts... catastrophiques ! D'abord, mes chaussures, avec des talons de dix centimètres, alors pour porter un plateau à travers une foule qui ne fait aucune attention à vous, et bien, c'est la chute assurée. Et je ne m'étais pas ratée. Un spectacle à moi toute seule. Ensuite, les commandes : pas besoin de noter, servez-vous de votre mémoire, dixit Éric. Sauf que quand on n'a pas l'habitude, ça donne un nombre incalculable d'aller et retour entre le bar et les tables. Et les mains baladeuses des clients. Au début, à force de trop crié j'avais fini la soirée aphone. Heureusement, j'ai vite appris à me faufiler, plateau en mains, sourire aux lèvres, et toujours avec un mot gentil, car il faut penser au pourboire. Je retourne en salle et sers les boissons, encaisse l'adition. Au Bar des Potes, si on est potes, c'est parce qu'on règle de suite. Je me dirige vers une autre table pour prendre une nouvelle commande. À peine 22 heures, et j'ai déjà mal aux pieds.

— Une pause clop avant le grand rush ?

— Oui, ça serait sympa Céline, réponds-je en jetant un regard à Éric qui me fait un petit signe pour me donner son accord. Je crois que ça va être plein à craquer ce soir.

— Sûr, c'est les Garçons Bouchers ! Ça va être une ambiance de folie, tu peux me faire confiance. Ils vont mettre le feu à la salle.

Nous nous faufilons à travers la foule pour rejoindre le bureau. Céline me tend une cigarette et je me laisse tomber sur le fauteuil pendant qu'elle s'installe sur le canapé.

— J'ai les pieds en compote, dis-je en soupirant. Et la soirée est loin d'être finie. Comment tu fais pour être en pleine forme ?

— C'est juste une question d'habitude. Tu bossais dans quoi avant ?

J'aspire une longue bouffée de nicotine, histoire de donner une réponse pas trop éloignée de la vérité.

— J'étais styliste chez Dior.

— La vache ! Ça devait être super cool !

— Oui, c'était chouette, mais c'était un CDD...

— Je comprends mieux ta façon de t'habiller maintenant. Au début, on a pensé avec les filles que tu te la pétais un peu. En fait, c'est à cause de ton boulot. Ils t'ont filé des fringues quand ton CDD s'est terminé ?

— Un peu, mais pas des tonnes, non plus.

— Tu m'étonnes ! Les plus friqués sont souvent les plus radins.

Je manque m'étouffer avec la fumée de la cigarette. Céline me donne une grande tape dans le dos et éclate de rire, quand la voix du Boss nous parvient dans l'interphone :

— La pause est finie, les filles. Ce soir, c'est vous qui portez les ceintures de téquila. Et faites-moi chauffer la baraque !

Pendant que j'ajuste la ceinture à ma taille et le petit sac sur mon dos, Céline corrige son maquillage. La ceinture est une attraction au même titre que les groupes de musiciens. Un tuyau en caoutchouc muni d'une gâchette est relié à un sac étanche rempli d'alcool. Autour de la ceinture, telle une cartouchière, de minuscules verres. Un verre, un euro. Mais ce qui remporte le plus de succès, c'est le pistolet. Pour cinq euros, la serveuse se positionne debout, entre les jambes du client assis, la bouche grande ouverte, et lui balance un jet de téquila. Autant dire que pour créer l'ambiance, il n'y a pas mieux. Les clients adorent, pour les filles entre leur cuisse, les filles adorent, pour les pourboires dans leur poche, et Éric adore, pour les billets dans sa caisse.

 Quand nous retournons en salle, les musiciens sont sur scène.

— Qui veut un baiser de la mort ? Hurle Céline en pointant son pistolet sur la foule.

Et c'est parti ! Entre les cris et la déflagration des décibels, on ne peut déjà presque plus s'entendre.

— Par ici, ma beauté !

Je m'approche d'un groupe et lance :

— Baiser de la mort ou shoot ?

— BAISER DE LA MORT !

J'encaisse et je me place entre les jambes du plus rapide. On dirait un adolescent, et si je n'étais pas certaine que Tony l'ait déjà fait, j'exigerais sa carte d'identité.

— Prêt ?

— Tu peux y aller, me répond-il avec un clin d'œil et en posant une main sur ma cuisse.

Il n'a pas le temps de réfléchir que je lui balance le jet de téquila. Il sursaute et recule. La moitié du liquide s'écoule sur son visage. Ses amis sont tordus de rire, et j'enchaîne avec eux. Et ainsi, pendant 30 minutes. Pas une minute pour souffler. Je retourne au comptoir pour réapprovisionner mon sac.

— Ça roule Angie, me demande Éric en me servant un verre d'eau glacé.

— Merci. Il fait une de ces chaleurs, dis-je en lui tendant une liasse de billets. Comme tu le vois, ça roule super.

Je jette un regard sur mon reflet dans le miroir du bar et je constate que mon chignon part dans tous les sens. Mon tee-shirt colle à ma peau à tel point que je pourrais faire un concours et mon mini tablier ne cache pas grand-chose. J'essaie de m'arranger un peu quand j'aperçois un sourire polisson sur le visage d'Éric.

— Tu es superbe, me crie-t-il pour se faire entendre. Tony et moi on a toujours un œil sur vous.

— Je sais bien et puis ça fait aussi monter les pourboires.

— T'as tout compris Angie, lâche-t-il dans un éclat de rire.

Mon sac rempli, je retourne dans l'arène. J'aperçois un jeune hystérique, avec des amis, qui me fait signe de le rejoindre à sa table, quand on me saisit par la ceinture de mon jean. Je fais un sourire navré et me tourne vers le client plus proche.

C'est un cauchemar !

— Pour moi, ce sera un shoot, dit un géant blond enjoué.

Un double cauchemar !

— Et pour moi... un baiser de la mort.

Lancaster ! Aïdan !

Au Bar des potes ?!



Le Contrat - {Sous contrat d'édition}Sortie le 18 juillet avec TéléStar...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant