Chapitre 5

10.2K 736 18
                                    

La porte s'ouvre. D'une voix à peine audible, je donne mon nom à la jeune femme blonde, vêtue d'un tailleur classique, qui me fait face.

— Par ici, me dit-elle aussitôt en m'invitant à la suivre. Je suis l'assistante de Maître Gattas...

Elle se retourne vers moi et avec un rapide coup d'œil à ma tenue ajoute :

— Le cabinet est aujourd'hui fermé à la clientèle sur demande de monsieur Lancaster.

Je me demande pourquoi, mais je ne dis rien et me contente de lui emboîter le pas en me sentant de plus en plus mal à l'aise. Elle est certainement au courant des termes du contrat... de toutes les clauses...

— C'est une requête assez inhabituelle, continue-t-elle. Mais je dois vous avouer que vu l'heure, nous ne vous attendions plus.

Le reproche est à peine déguisé. Je sais que ma tenue ne plaide pas en ma faveur, avec une toilette plus appropriée, elle ne se permettrait pas la moindre remarque. Dans les beaux quartiers de la capitale, l'habit fait le moine. Mais trop honteuse et nauséeuse pour la remettre à sa place, je reste silencieuse. Le couloir sombre semble faire des kilomètres, et quand enfin elle frappe à une porte, l'ouvre et s'efface pour me laisser entrer, je lâche un soupir. J'ai les jambes tellement flageolantes que je ne suis pas certaine qu'elles vont me soutenir encore longtemps.

— Tu as dormi, toi ? Comment ça va ? me questionne Justine en se précipitant et en ôtant mes lunettes. Tu as une tête à faire peur.

Dieu merci, elle est là ! Et aussitôt, sa présence me redonne un peu d'énergie et me réconforte.

— Ça se voit tant que ça ?

— De loin, non. Mais alors, de près !

— Je sais. J'ai des cernes de quinze kilomètres de long vu que j'arrive au bout d'une semaine de travail avec moins de vingt heures de sommeil cumulées sur cinq jours. Mais à part ça, je suis top canon... dans la catégorie Zombie !

— Ne dis pas de bêtises, murmure-t-elle en me serrant affectueusement contre elle. Tu sais qu'on peut toujours prendre la poudre d'escampette. Tu peux encore renoncer. Tu n'as vraiment pas l'air en forme...

Un toussotement discret met fin à notre petite conversation.

— Mademoiselle Beaumont. Je suis enchanté de faire votre connaissance.

L'homme d'une cinquantaine d'années environ, à la courte barbe blanche et aux yeux cerclés de lunettes d'écaille, qui vient de nous interrompre est à n'en pas douter l'avocat. Je lui tends la main en bafouillant la formule d'usage et balaye la pièce d'un regard. Elle est vide. Je ne sais pas si je dois me sentir soulagée ou accablée. Suis-je arrivée trop tard ? Monsieur Lancaster a-t-il changé d'avis à mon sujet ? Ce contrat est ma seule porte de sortie, et s'il ne souhaite plus l'honorer, je n'ai aucune autre option. Mon salaire de serveuse nous permet tout juste de survivre. Et je ne pourrais pas indéfiniment compter sur l'aide financière de mes amies. Elles ont déjà fait beaucoup et je ne veux pas arriver au stade où leur amitié se transformera en pitié. Je n'ai pas le temps d'analyser mes sentiments confus qu'il m'avise que la signature est toujours à l'ordre du jour, si je suis disposée.

— Je le suis, réponds-je en prenant place dans le fauteuil qu'il me désigne. Je suis navrée pour mon retard et plus encore pour ne pas avoir pu vous prévenir, mais j'avais oublié votre carte à la maison.

— Ne le soyez pas, m'assure-t-il avec un sourire et en me tendant les papiers. Votre amie m'a agréablement diverti en me racontant un tas d'anecdotes sur les nuits parisiennes. Je dois avouer que je ne me suis jamais autant amusé. Justine a un talent certain pour dépeindre les travers de ses contemporains. Il ne vous reste plus qu'à parapher chaque page et signer la dernière. Ensuite, Justine fera de même.

J'attrape le stylo sur le bureau et je regarde mon amie. Pendant que l'avocat s'entretient avec son client au téléphone, c'est du moins ce que je suppose, j'observe les initiales : G.L et A.K sur les feuilles. Des doutes m'assaillent... ne suis-je pas en train de faire la plus grosse erreur de ma vie ? Suis-je vraiment capable de... j'ai la tête qui tourne un peu... ça paraît si simple... juste une petite signature... et pourtant, rien ne sera plus comme avant... j'ai la sensation d'être au bord d'un gouffre... d'un précipice... Ma main est au-dessus des feuilles, hésitante, tremblante... la voix de l'avocat me semble lointaine... 5 ans... ce n'est pas si long... qu'est-ce que c'est 5 ans dans une vie ? Après tout, je ne signe pas pour un séjour en prison quand même... J'inspire en me disant que c'est ma seule échappatoire, et je me jette à l'eau... Une fois ma tâche accomplie, je glisse tous les exemplaires du contrat vers Justine.

— À ton tour.

— Tu es sûre, questionne-t-elle encore une fois.

— Certaine !

Elle me sourit, puis paraphe chaque page et signe sous le regard vigilant de l'avocat. Sitôt terminé, il récupère le tout et se saisit du téléphone :

— Maintenant que tout est réglé, je vais prévenir mon client de votre arrivée.

L'échange entre eux me laisse à peine le temps de demander à mon amie si elle a vu mon futur époux. À part l'assistante et l'avocat, elle n'a croisé personne. Avec une grimace des plus comiques, elle me chuchote que je risque de me retrouver mariée avec Quasimodo. Je secoue la tête en lui soufflant que tant que je ne suis pas au lit avec un Allien, tout va bien...

— L'avocate qui s'est chargée de vous représenter, si je me souviens bien, a ajouté une clause de cet ordre-là, dit Maître Gattas sur le ton de la plaisanterie. Je vous avoue qu'elle ne m'a pas rendu la tâche des plus simples avec toutes les annexes et les nouvelles demandes, mais nous avons réussi à faire en sorte que les deux parties soient satisfaites. Et c'est le principal.

— Sarah est un peu... comment dire...

— Ne le soyez pas, me coupe-t-il avec un sourire bienveillant. Il est tout à fait naturel que vous vous soyez fait assister par une personne de compétence afin de protéger vos intérêts au mieux. Et je peux vous assurer que Mlle Vidal est une redoutable avocate.

Trois coups secs frappés à la porte nous font sursauter. Justine et moi nous retournons d'un même élan. Un frisson me traverse le corps pendant que la porte s'ouvre avec une lenteur effarante. Mes mains sont moites. Soudain, il me semble qu'il fait affreusement chaud, à moins que ce ne soit l'alcool ingurgité la nuit précédente qui me monte encore à la tête. Mon cœur s'emballe. Je suffoque. Je tressaille. Une chose est sûre, je ne suis pas au mieux de ma forme. Je me focalise sur ma respiration. Inspirer profondément. Expirer lentement...

Inspirer... expirer...

À quoi ressemblez-vous Geoffrey Lancaster ?



Le Contrat - {Sous contrat d'édition}Sortie le 18 juillet avec TéléStar...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant