Chapitre 7

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Même si je cours presque pour réussir à suivre les grandes enjambées agiles de Harry, j'ai tout de même l'impression que le temps n'est jamais passé aussi lentement que maintenant. C'est vraiment étrange comme la durée de chaque seconde,de chaque battement de cœur, de chaque respiration, de chaque écho de la musique tapageuse qui me parvient faiblement, de chaque pas quirésonne sur le sol capitonné du lycée semble tout à coup multipliée par cent.

J'ai rarement vécu l'instant présent aussi intensément que maintenant. Je peux seulement me référer à la veille de Noël, quand je fixais stoïquement le plafond allongée sur mon matelas à me demander combien d'heures il restait encore avant de pouvoir enfin déballer mes cadeaux, ou la nuit de la rentrée, pendant laquelle l'angoisse de ne pas me retrouver dans une bonne classe éloignait à des milliers de kilomètres une vague perspective de sommeil.

À l'époque, cette impression était à la limite de l'agréable parce que j'étais encore la petite fille innocente qui riait de bon cœur sur les photos et qui ne se préoccupait de rien d'autre que de tâcher ses vêtements et de manger trop de bonbons. C'est tellement pitoyable de me dire que ce soir, celle qui ressent tout ça n'est plus que cette pauvre fille vide et délavée comme un vieux jean que la vie a malmenée, cet espèce de fantôme qui erre dans des couloirs vides avec la personne qui l'a faite le plus souffrir au monde, cet âme incroyablement naïve qui imaginait presque s'amuser à cette soirée et réussir à faire table rase du passé pour au moins quelques heures.

Je n'ai même plus la volonté de redouter ce qui est sur le point d'arriver, ni de méditer sur l'expression troublante de Jayden encore profondément ancrée dans mon esprit. J'ai conscience que ce qui va se passer quand Harry s'arrêtera de marcher sera certainement affreux et que je ferais mieux de commencer à m'y préparer maintenant, mais je n'arrive tout simplement plus à trouver l'énergie nécessaire pour faire fonctionner correctement mes neurones.

C'est trop tard pour me dérober de toute façon. Mon sort est entre les mains du destin, personnifié par mon premier amour avorté.

Telle une poupée de chiffon, je ne me sens rien capable de faire à part m'obliger à mettre un pied devant l'autre, laisser mon regard vagabonder sur les murs blancs que je connais par cœur pour éviter à tout prix le regard de Harry et essayer d'ignorer le gyrophare rouge vif qui clignote avec ardeur dans mon esprit pour me garantir que ce n'est que le début des festivités.

Nous croisons plusieurs personnes en nous enfonçant dans les profondeurs du lycée, la plupart étant des couples éloignés de la salle de bal pour mieux se lécher levisage et se dire tout bas combien ils s'aiment. Inutile de mentionner que cette vue m'est absolument insupportable, et que je détourne les yeux au moment même où j'entends le cliquetis d'une paire de talons autre que la mienne ou un rire beaucoup trop niais pour provenir d'une personne mal-aimée.

Même si je n'aperçois pas totalement l'expression de Harry, je remarque quand même qu'il jette de temps en temps des petits coups d'œil sur les côtés dès qu'une porte se dresse devant nous, et je ne peux que me représenter ce qu'il doit se dire à chaque fois qu'un endroit propice à la discussion se met sur notre chemin : «Est-ce que ça irait si je la faisais souffrir ici ?», «Ce sera sûrement mieux plus loin». Mais encore une fois j'essaie de barrer la route à mes pensées.

Nous passons une énième paire de portes battantes bleues et je me rends compte soudain lorsque le néon s'allume à notre passage que nous sommes dans le couloir de l'administration, là ou les élèves n'ont jamais le droit de se rendre en général. Je découvre cet endroit pour la première fois et j'avoue être un peu déçue. À la manière dont Harry Potter envisageait le couloir interdit du troisième étage dans le tome 1de la saga que j'ai lu un nombre incalculable de fois, je m'imaginais pour cet endroit quelque chose de plus surprenant et farfelu que le reste du bâtiment. En réalité, ce couloir n'est que la pure longévité de tout le reste du lycée, la même peinture blanche fade étant badigeonnée sur les murs et sur les portes fermées. Je ne m'attendais pas forcément à trouver un chien à trois têtes mais au moins quelque chose d'inhabituel.

Begin again - Harry StylesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant