Chapitre 39

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C'est fou ce qu'une odeur, une couleur ou une sensation, sont capables de faire ressurgir de notre inconscient. Des souvenirs que l'on croyait perdus, égarés à jamais dans les zones d'ombres de notre esprit. Des démons que l'on voulait oublier, et à la limite desquels on a érigé une solide muraille pour ne plus jamais y être confronté, muraille qui tombe dès qu'un élément déclencheur survient, aussi colossale qu'elle soit.

C'est ainsi que la simple vue de cette boîte blanche posée devant moi me torture. Tant de choses me submergent d'un coup en une sorte de vague qui m'apporte à la fois chaleur et peine.

Cette boîte avait vraiment une histoire particulière pour moi, et même pour nous, si j'ose penser qu'un nous peut encore exister. Ma mère me l'a offert pour mon cinquième anniversaire, pour collecter tous les souvenirs de mon enfance : les tickets de cinéma, mes petites voitures, de vieilles photos de classe, des choses que j'aurais été heureux de montrer à mes enfants plus tard. Et puis, quelques mois après avoir rencontré Madison, j'ai jeté son contenu et décidé que cette boîte serait finalement la nôtre. Le gardien de notre amitié.

Comme si depuis le début je savais qu'elle allait terriblement compter pour moi. Comme si depuis toujours j'avais le pressentiment que les seuls moments que je voulais retenir parmi tous étaient ceux passés avec elle. Revoir cette boîte me fait donc l'effet d'une grande gifle et je me sens vraiment bête d'avoir pensé un jour à m'en débarrasser.

Malgré tout, même si mon père pense sûrement bien faire, je ne sais pas si il serait si judicieux de me replonger dans cette amitié qui était toute ma vie. Peut-être que je me sentirai encore plus mal après avoir redécouvert son contenu, constatant une fois de plus que j'ai vraiment merdé sur toute la ligne. Mais c'est comme si ces souvenirs m'appelaient, me suppliaient de les sortir de l'obscurité, de les faire briller une dernière fois. Ils m'attirent comme des aimants, et mes mains cèdent sous la pression. J'ai l'impression d'ouvrir la boîte de Pandore en entendant le grincement du bois, libérant des maux sur le point de me ravager tout entier.

Mon cœur se comprime lorsque je sors le premier objet qui se présente à moi : des lunettes. Mais pas n'importe quelles lunettes : des petites lunettes rondes, noires, en apparence ordinaires mais magiques en réalité. Des lunettes dont Madison n'avait pas besoin mais dont elle avait ressenti l'extrême nécessité. Des lunettes achetées un samedi après-midi avec sa mère en centre-ville, pas parce qu'elle avait des problèmes de vue mais parce qu'elle était tombée en admiration devant la vitrine. « Ça me donne un air intelligent, tu ne trouves pas ? » m'avait-elle demandé en me les montrant pour la première fois, toute fière de son achat. À vrai dire je préférais le bleu pur de ses yeux sans aucun artifice, mais elle avait un sourire si éclatant ce jour-là que j'adorais déjà cet objet. Elle les a délaissées deux semaines plus tard, comprenant finalement que les lunettes deviennent vite sales et que sa vue finirait par réellement être altérée. Mais je voulais les garder. Je voulais me souvenir de ce sourire pour toujours. C'est à cela que servait cette boîte.

Je tombe ensuite sur la carte de visite d'un salon de thé dans le centre de Londres, de mémoire près de Hyde Park, carte que nous avions ramenée d'un voyage scolaire en Angleterre. C'était le premier jour d'excursion et Madi s'extasiait tellement devant Picadilly Circus, mitraillant tout de son petit appareil photo jetable, que nous avions fini par perdre le reste du groupe. Deux gamins de douze ans perdus dans la capitale anglaise, je vous laisse imaginer la catastrophe. Nous avions couru dans tous les sens, reprenant le chemin suivi à l'aller, retrouvant même la rue dans laquelle nous avaient déposés le bus, rien à faire. Madi était sacrément paniquée. Elle pleurait, répétant sans cesse que personne ne nous retrouverait et qu'on allait mourir sans jamais revoir nos familles.

Begin again - Harry StylesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant