Je lâchai la chemise ensanglantée et courus jusqu'aux portes de l'écurie. Le Prince les ouvrit vivement, laissant entrer le froid polaire. Un souffle blanc nous balaya, hurlant à nos oreilles.
Aveuglée, je refermai les portes.
- Qu'est-ce que c'était ? criai-je.
- Je n'ai rien vu. La tempête est trop forte.
- Il y a quelqu'un dehors, répondit Jedrek depuis le grenier à foin. On ne peut rien faire pour lui. Il est gelé et les glaçons l'ont déjà percé de toutes parts. C'est un miracle qu'il tienne encore debout.
Je me hissai sur la pointe des pieds pour regarder par les petites fenêtres qui ornaient certaines stalles. Je distinguais à peine la silhouette sombre qui oscillait dans cette brume blanche et hurlante.
- On ne peut vraiment rien faire pour lui ? interrogeai-je.
- Non. Vous vous perdriez et vous vous feriez tuer aussi, me répondit le prince. C'est inutile d'essayer de sortir d'ici avant la fin de l'orage.
Comment une lady normale aurait-elle réagi face à ce genre de situation ? Aurait-elle pleuré ? Aurait-elle essayé de convaincre les deux hommes de sortir pour sauver quiconque était dehors ?
Un autre cri résonna par-dessus le bruit de la pluie de glaçons qui martelait le toit et les murs. Un cri d'agonie. La voix s'était rapprochée, déformée par la douleur. Je me hissai derechef pour regarder. La silhouette était plus proche et continuais d'avancer.
- Qui que ce soit, il est encore en vie.
- Nous ne pouvons rien pour lui, insista sèchement Jedrek. S'il s'approche assez des portes, nous pourrons éventuellement lui ouvrir. Au delà de cela, personne ne sort, milady.
Il m'attrapa par le bras et m'éloigna de la fenêtre. Il me fit asseoir sur sur la botte de foin où Ryker était assis un peu plus tôt.
- Je connais les orages blancs. Vous, non. Alors, ça, je gère. Vous devriez plutôt terminer de soigner Son Altesse.
Nous nous affrontâmes du regard. Je le laissai gagner. Je détestais me sentir aussi impuissante mais il avait raison. Je ne connaissais rien aux orages blancs. Je n'avais fait qu'en entendre parler. Et ils étaient pires que ce que l'on en disait.
Aussi fis-je ce qu'il me disait. Je rejoignis Ryker qui regardait par les ouvertures vitrées de la porte. Sa blessure suintait un peu de sang. Je l'essuyai avec la veste de Jedrek.
- Venez vous asseoir, Votre Altesse.
Je récupérai le pot d'onguent et fis chauffer un peu de produit entre mes mains avant d'en couvrir la blessure. Le prince émit un sifflement douloureux. Tous ses muscles se contractèrent. Le jeu de sa peau sous mes doigts me fit déglutir.
Je cillai, tentant de retrouver un semblant de concentration. Et de faire cesser le tremblement de mes mains. Je fermai presque les yeux lorsque j'enroulai les bandages autour de lui.
Pour la première fois, je remarquai son parfum. Un mélange de sueur et de savon à la cannelle. Seule la famille royale devait sentir la cannelle tant elle était chère.
En y songeant, sa petite sœur avait cette odeur fleurie puissante et enfantine, sans une once de cannelle. Il devait être le seul à s'en servir.
- Voilà. C'est terminé, Votre Altesse. Vous devriez vous allonger. Vous avez beaucoup saigné.
- Je vais bien.
Il m'offrit un sourire faible en se relevant. Il retourna regarder par les vitres. Je me hissai sur la pointe des pieds pour tenter de voir. Il baissa les yeux vers moi, un véritable sourire sur les lèvres, cette fois.

VOUS LISEZ
L'Assassin du Roi (Le Grand Royaume #1)
FantasyDepuis son enfance, Sixtine attend ce jour. Elle entre enfin à la Cour du Grand Royaume comme gouvernante de la Princesse Addy. Elle se rapproche du but de sa vie : tuer le Roi pour venger l'assassinat de sa famille. Mais assassiner un Roi n'est pas...