"Alors Kaleb... Tu vas nous raconter ces années que tu as passé loin de nous?"
Je retenais ma respiration, observant la réaction de mon frère du coin de œil. La remarque était si pleine d'amertume et de reproche qu'il était impossible de ne pas les relever.
"Je sais que je suis parti sans explications et ..."
Mon père s'apprête alors à l'interrompre, mais il l'en empêche.
"Laisse moi finir s'il te plait. J'ai péter les plombs. Je pouvais plus rester à la maison je devenais dingue, les études m'ennuyais donc j'y allais plus, je savais pas quoi faire de ma vie. J'étais en train de perdre mon temps à tourner en rond, et ça me rendait fou..."
Il hésite, cherche ses mots un instant, un peu gêné tandis que mon père et moi attendons dans un silence religieux la suite.
"Je suis parti sur un coup de colère mais je l'ai pas regretté. J'ai regretté que ça se soit passé comme ça pour Kara et pour toi Papa, mais je sais que vous ne m'auriez pas laissé partir, elle ne m'aurait pas laissé partir. Je suis allé à Amsterdam rejoindre des potes, ils étaient déjà la bas depuis quelques temps donc il m'ont aidé à trouvé du boulot et m'ont accueilli dans leur appart. Et voilà, c'est à peu près tout."
Oh non, ça m'étonnerait que trois phrases soit "a peu près tout".
"C'était compliqué d'en parler!? Si tu m'avais dit que tu voulais voir le monde au lieu de te sauver comme un voleur, je t'aurais encouragé! Est ce que tu t'imagines la peur dans laquelle on vit depuis des années? On savais même pas si t'étais vivant! Ce que tu faisais, et où! Tu crois que ça suffit tes explications de merde?!"
En criant ces mots ils s'était rapproché de Kaleb, agitant dangereusement les bras. Je vois le regard de mon frère s'assombrir, donc je décide d'intervenir.
"Papa, arrête. Il est venu pour tout nous expliquer, alors on va l'écouter jusqu'à la fin. Viens assied toi la..."
"Ne te mêle pas de ça Kara. Je dis à ton frère la stricte vérité. Tu as été d'un égoïsme total Kaleb, et ne la prend pas pour excuse."
C'est marrant, les tabous. Les mots que l'on refuse de prononcer, que l'on désigne du coup autrement. J'aime pas les tabous. Ça ne fait qu'appuyer encore plus fort sur le sujet que l'on souhaite éviter. Appelez la par son prénom et elle perdra alors l'emprise qu'elle a encore aujourd'hui, sur nous tous. Le mot Maman n'existe plus, désignons là par: Barbara.
"Et pourquoi t'es revenu?" je demande
"Pour vous. Parce que j'ai trouvé du boulot. Parce que j'ai mon ancienne vie ici."
Mon père serre la mâchoire et fixe un point invisible par terre, plusieurs secondes durant. J'ai l'impression qu'il n'y a rien que je puisse faire pour empêcher cette conversation de dégénérer.
"Tu sais, je suis plus qu'heureux que tu sois de retour Kaleb, mais la façon dont t'es parti me reste en travers de la gorge. Ton égoïsme me reste en travers de la gorge. Et Kara n'ose peut être pas te le dire, mais le temps perdu ne se rattrape pas, et t'as raté beaucoup. Tu nous dois des excuses à tous les deux, et je ne sais même pas si on pourra oublier. Elle a perdu son frère et sa mère en l'espace d'un mois, et j'me dit que c'est pas pour rien que les problèmes ont suivi. Mais ça, c'est à toi chérie de le lui dire. Il faut dire les choses."
Merde, j'ai les larmes qui montent. Faut pas Kara, faut pas. Suffisamment de larmes ces derniers jours. Ça suffit les montagnes russes, les émotions aux extrêmes. Les coups et les caresses, les retrouvailles et les séparations. Je peux pas répondre à ça, j'ai pas les mots et il est trop tôt... J'ai mal à la tête...
Mon père s'assoit à mes côtés et me serre contre lui."Je sais... Ça fait beaucoup en quelques jours mon ange."
Et si on redevenait une famille?
Kaleb nous tourne le dos. Je donnerai n'importe quoi pour savoir ce qu'il y a dans sa tête."Je suis désolé. J'peux pas faire mieux."
Il se lève et s'en va. Personne ne le retient.
On était sensés jouer cartes sur table, on a à peine pu gratter la surface, emportés par un ouragan de sentiments rances, qui on pris poussière au fond de nos poitrines au fil des saisons.
Putain, j'y avais presque cru à la fin heureuse, au bonheur sans tâches."Ça va aller Kara" me fait le seul à n'avoir jamais déserté.
Et à qui, pourtant, j'ai fait le plus de mal.
"Qu'est ce qu'il va se passer tu crois?"
"J'en sais rien. Je serait incapable de prévoir quoique ce soir, j'arrive même pas à le voir suffisamment pour savoir si c'est toujours le fils que j'ai vu grandir ou un homme que je ne connais pas."
"Mais, même si il a changé il reste ton fils. Et tu peux réapprendre à connaître l'homme qu'il est..."
"C'est vrai, ma fille... Cette situation de merde ne peut que s'arranger de toute façon!"
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Anger my dear friend
Teen FictionÀ 17 ans, gérer ses émotions est loin d'être une chose simple. Kara se laisse de plus en plus souvent envahir par la colère et la violence qui font rage en elle, et pour combattre ça elle a trouvé une solution: Boxing Club. Elle va entrer dans l'uni...