Chapitre 6

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Un silence lourd pèse autour du ring. Je sens tous leurs yeux posés sur moi, suivants chacun de mes mouvements, cherchant avidement les failles que je me donne tellement de mal à dissimuler. J'ai l'impression d'être un animal qui se donne en spectacle. Oui, c'est vraiment ça. Je vais me battre contre elle devant des gens qui n'attendent que ça. Elle, elle compte profiter de leur présence pour m'humilier et assoir sa supériorité. Moi, je veux tester mes limites et montrer ce dont je suis capable. Eux, ils veulent se délecter de notre violence et brulent d'envie de nous voir nous battre pour un statut.
Une voix nous crie de commencer. Je tente de contrôler l'insupportable tremblement de mes jambes, mais mon corps ne répond plus. Nous nous tournons autour, dévisageons l'autre comme pour qu'elle nous craigne rien qu'en fixant nos yeux. Car on sait toutes deux qu'une fois que la peur te saisit au plus profond de toi, il n'y a plus rien a faire, le combat est déjà perdu. Tout est dans le mental, et ce mental est la chose la plus dure à maîtriser qu'il soit. Nous nous tournons donc autour, comme des bêtes à l'affût. Je sens que la tension qui nous habite s'est transmise à la foule, qui semble s'être arrêtée de respirer en attendant qu'on commence réellement le combat. Des remarques fusent, nous incitant à passer à l'offensive, attisant notre agressivité. Karine réagit en première, et avance brusquement vers moi. Instinctivement, je recule. S'élèvent alors des rires moqueurs qui m'écorchent de l'intérieur. Comment puis-je être lâche à ce point? Une honte profonde monte alors en moi, comme une brûlure, et je me hais d'être si faible. Le rictus victorieux de Karine en cet instant me donne la nausée, tout comme l'idée que tout ces gens assistent à mon humiliation. Il faut que me reprenne, que je... Sans que je le vois venir, Karine bondit et m'assène un crochet du gauche fulgurant. Le coup me sonne, et je n'ai pas le temps de me redresser qu'elle m'assaille à nouveau, me martelant de coups de poings qui me mettent le feu au visage.
Enfin je la sens qui monte en moi, plus froide et féroce que jamais. Elle en a mis du temps, ma haine... Je me dégage brutalement. Je suis à court de souffle, trempée de sueur et mon cœur cogne si fort dans ma poitrine qu'il me fait presque mal. Je retrouve mes repères et me met en position, ignorant le sang qui coule de mon arcade et les cheveux qui me tombent sur le visage. Je ne vois qu'elle, le reste du monde a disparu. Je ne désire rien de plus que la mettre en sang. Seul son sang pourra laver la honte dont elle vient de me souiller. Viens. Approche. Maintenant je suis prête. Je peux lire dans ses yeux que le changement qui s'opère en moi est visible. Elle semble..méfiante, presque effrayée. Mes yeux sont chargés de toute la colère qui se trouve en moi, et à présent celle ci est entièrement dirigée vers elle. Je m'avance, la garde montée, et lui décoche de petits crochets qu'elle pare sans problème. Je continue à la harceler ainsi, attendant la faille qui me permettra de l'atteindre. Lorsqu'enfin elle se présente, je mobilise mon bras et lui balance ma droite la plus puissante dans la mâchoire. Le choc lui tord la nuque et me l'offre, sans défenses. Enfin. J'enchaîne alors avec un crick dans le ventre et une balayette qui la met au sol. Je vois à son expression qu'elle ne comprend pas ce qui arrive. Je m'assoie alors sur elle et jubile: elle est enfin à ma merci. Je laisse donc libre cour à tous mes démons, et commence à la frapper comme jamais je ne l'avais fait. Je suis déchaînée, ne pense plus à rien sauf à la haine qui m'habite et à la seule manière que j'ai de l'exprimer. Mon corps fébrile se couvre de sueur mais je continue, perdant totalement le contrôle. Inévitablement je m'épuise, mais ni les coups que Karine me lance désespérément dans l'estomac ni la petite voix dans ma tête qui me crie que je vais trop loin ne peuvent m'arrêter. Je veux qu'elle ait mal, je veux qu'elle paie. Mes gestes deviennent maladroits, et je n'ai pas le temps de reprendre mon souffle que Karine s'est dégagée rageusement. Nous nous relevons, elle en titubant, et je peux alors contempler mon œuvre, mi-effrayée mi-fascinée. Elle arbore une lèvre fendue dont le sang s'est répandu sur son t shirt blanc, l'un de ses yeux ne s'ouvre pas correctement et son visage est gonflé de toutes part, signe que bientôt des hématomes feront leur apparition. Elle aussi semble à présent prête à me découper en morceaux.
Parfait, quitte à nous battre comme des animaux, soyons des louves.
Je ne prête pas attention aux faiblesses de mon corps, et n'ai pas décoché trois coup que j'entend Karine rugir, avant de sentir le choc. Comme si ma tête se décrochait de mes épaules, mais en encore plus douloureux. Je tombe au sol et lentement, tout devient noir.

Anger my dear friendOù les histoires vivent. Découvrez maintenant