Chapitre 29

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J'ai lâché ça sans réfléchir, sur le coup des nerfs. Quelle conne. Antho est une bombe à retardement, capable de péter un câble si tu le regarde de travers, et moi je lui sors ça sans pression.
Il s'agit néanmoins de la vérité. Je vais peut être me prendre une rouste, mais au moins j'aurais été honnête. Et puis, j'ai espoir que les autres entendent mes cris avant qu'il ne me découpe en morceaux.
En effet, sa réaction ne tarde pas:

"Bouge."

Sa voix est rauque; il essaie de respirer calmement mais je peux voir que ses poings sont serrés jusqu'à en faire blanchir les jointures. Ses yeux sont posés sur moi, plus menaçants que jamais.

Je suis comme pétrifiée, et refuse d'obéir à son injonction, tout en sachant que je devrais pourtant.

"Je te parle sérieusement Kara, pars! Ça va mal finir sinon, et j'ai pas envie."renchérit il, de plus en plus agité.

Je le fixe, interdite, et ne bouge toujours pas.

Quand? Quand est ce que notre relation à évoluée à ce point? Quand est ce qu'on a commencé à s'attacher autant l'un à l'autre pour maintenant se déchirer de cette façon? J'ai beau creuser ma mémoire, je ne vois pas d'événement particulier. C'est arrivé comme ça, sans crier gare, de la manière la plus naturelle du monde. Ni lui ni moi ne l'avions vraiment réalisé, on se contentait de le ressentir à travers un brouillard. Et il faut que je m'en rende compte maintenant, au moment le plus critique. J'ai pas le temps d'y penser pour le moment pourtant.

"Tu fais quoi la, tu comprends pas quand je te parle?! Tu crois que je rigole, que c'est une blague? Kara je me contrôle pas, je vais te casser les dents si tu restes!!"hurle-il avant d'envoyer un coup de poing dans la taule du hangars.

Mes neurones ne se connectent pas. Mes jambes tremblent un peu aussi, je crois.
Sans réfléchir, parce que sa folie devient un peu la mienne, je me précipite vers lui et le prend dans mes bras. L'instinct à l'état pur.
Je le sers contre moi avec toute ma force, si fort que je peux presque sentir sa colère vibrer contre ma peau. Au début, notre étreinte ressemble à une lutte. J'essaie de maintenir ses débordements, de lui donner tout ce que j'ai à offrir d'amour et de compréhension. Ma petite personne face à un ouragan. La surprise passée, il se débat, mais je ne lâche pas prise. Puis, sa résistance s'épuise, la tempête doucement retombe, et nous nous retrouvons dans les bras l'un de l'autre à bout de souffle.

C'est un moment étrange. Il n'y a pas besoin de mots. La gêne n'existe plus. Cette proximité entre nous est agréable, une chaleur singulière s'en dégage. C'est l'harmonie.

Puis des bruits se font entendre dans notre dos. On emmerge lentement de cet état étrange pour découvrir les gars du club derrière nous.

"Putain, on a entendu des cris, on pensait que..."

Un silence s'ensuit.
Je sens que Anthony est gêné de la situation, moi aussi d'ailleurs. Je suis comme de retour à la réalité, et ce qui vient de se passer semble un mystère.
Les gars s'en vont, troublés. En y pensant c'est vrai que voir Antho et moi se faire un câlin c'est plus que perturbant, les pauvres.

"Je voulais pas péter un câble comme ça. Comme je t'ai dit je contrôle pas." Dit il en regardant ailleurs.

"Ouais, j'ai vu. Je... Je vais y aller moi du coup."

"Ça va, à la prochaine" répond il en me tournant le dos.

On se sépare dans des directions opposés, embarrassés jusqu'à la moelle.
Sur le chemin du retour, l'image de Seth me poursuit.
Dans quoi est ce que je suis en train de me mettre?

Un bon bain, voilà ce dont j'avais besoin pour tout remettre au clair dans le foutoir qui me sers de tête. Je reprend tout chronologiquement:
Tout d'abord, je sais que Kaleb va bien. Je n'ai qu'à lui envoyer un message pour lui expliquer que je veux qu'on laisse toute cette histoire derrière nous.
Arrive ensuite le nœud du problème, Anthony. L'évolution de mes sentiments à son égard sont un grand mystère; je suis passée d'une méfiance extrême, à une relation étrange qui consistait à se clasher et rien d'autre, puis à être potes, enfin j'ai eu de la reconnaissance envers lui la nuit de l'agression, et aujourd'hui... Je sais pas. Il reste si différent de moi. L'accident d'aujourd'hui le prouve bien d'ailleurs. Il était à deux doigts de me frapper pour des paroles sèches envers lui... Quant à ma réaction, c'était un élan du cœur, je ne peux pas le nier. Or maintenant, il faut que je raisonne avec ma tête. L'attirance n'est pas tout, pas vrai?
Et il y a Seth dans tout ça, Seth envers qui je ressens également des sentiments, sans pouvoir mettre un nom dessus ni même les comprendre.La belle affaire, je suis coincée entre un barjot qui aurait large sa place à l'hôpital psychiatrique et un autre qui ne veut plus me voir. Si c'est pas beau la vie. Et si moi au moins j'étais au clair avec moi même! Mais non, ça serait pas drôle, il a fallu que je vienne alourdir le tableau avec mes indécisions.
Je ferais peut être bien de me noyer dans ce bain en fait.
Ah non, envoyer le message à Kaleb d'abord, liste des priorités.

"Kara, tu viens manger?"m'appelle mon père depuis la cuisine.

"Papa... Ça te dérange si je mange chez Sarah ce soir?"

Silence.

"Et l'école?"

"C'est samedi papa, y'a pas école demain..."

"Ah oui, c'est vrai. Mais tu vas aller en béquilles jusque-là bas?"

"J'ai plus besoin des béquilles, et puis c'est pas très loin tu sais."

"Ah. Bon d'accord, tu m'envoies un message une fois la bas."

"D'accord, merci!!"

"Derien, fille ingrate."

Je pouffai de rire et sortait de la baignoire. J'envoyais un message à Sarah pour la prévenir de mon arrivée, ainsi qu'un à Loli pour lui dire de nous rejoindre.
Mon frère, lui, n'avait toujours pas répondu.


"Alors??"

"Bonjour à toi aussi Sarah."

"Oui oui bonjour. Comme si on avait le temps pour ces futilités!"

Elle me claque un bisous sur la joue et m'entraîne dans sa chambre, ou Loli est déjà. Je leur explique tout, de A à Z, et à voir les gueules qu'elles font le choc est rude.

"Je suis pas sûre d'avoir tout suivi la." Intervient Loli

"Oui, moi aussi y a quelque chose qui m'interpelle dans cette histoire: on te dit de te tenir loin de cet illuminé, et toi tu lui fais un câlin?" Interroge Sarah avec une expression d'incompréhension à se rouler par terre.

"Meuf, y a du vent dans ton crâne ou quoi?"renchérit Loli à son tour.

Wow, je suis partie pour me faire terminer en beauté.

"C'était pas du tout calculé, croyez-moi... Mais il était entrain de perdre le contrôle à cause d'un truc que je lui avait dit, je ne pouvais pas le laisser."

"Ça fait flipper quand même."

"Et Seth dans tout ça?" Intervient Sarah.

Je m'apprête à répondre quand sa mère nous appelle à table. Je lui dois une fière chandelle.

Nous mettons le couvert et nous installons lorsqu'elle nous interpelle:

"Seth mange avec nous ce soir, rajoutez un couvert. Il vient de rentrer"

Je me tourne vers les filles, le cœur battant la chamade.
Une porte claque et il apparaît, et quand il m'aperçoit il s'arrête net dans son élan sous le coup de la surprise.
La scène doit être comique de l'extérieur: on s'observe en silence, personne ne sors un mot. Il se rembrunit d'un coup et lâche un "salut les filles" qui m'aurait indignée si je n'étais pas momentanément paralysée.
Je sais pas ce qu'il se passe avec mes hormones en ce moment, mais il va falloir qu'elles se calment.

L'ambiance du repas est principalement due à Loli, Sarah, et la mère de cette dernière. Seth et moi gardons le silence. Nos yeux se croisent souvent, pour se détourner tout de suite après. Et malgré cette atmosphère pesante, je suis heureuse de le voir, sa présence m'avait manqué.

Le repas terminé, je prend mon courage à deux mains et lui demande, alors qu'il s'apprête à s'esquiver dans sa chambre:

"T'as deux minutes?"

Anger my dear friendOù les histoires vivent. Découvrez maintenant