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Pendant les semaines qui suivirent, Anna cherchait un nom dans le journal, dans la section des annonces mortuaires, elle lisait chaque avis de décès dans les moindre détails, aucune morts spectaculaires, la vieillesse et la maladie l'emportaient sur les lacérations sanglantes. Jacob Jonsson ne figurait dans aucune annonce, peut-être que le corps n'a pas encore était retrouvé ou alors sa famille ne souhaitait pas exposer ce tragique évènement en première page du journal. Les quotidiens s'empilaient et s'écroulaient au pied de son lit, unique désordre du décor épuré de sa chambre.

Les jours passèrent, tous semblables ; la pluie continuait de tomber sans vraiment que les gens ne s'en aperçoivent, les arbres étaient à présent complétement nus et annonçaient l'arrivée de l'hiver. Anna suivait toujours ses cours et participait à toutes les conférences, ennuyantes et monotones mais obligatoires pour finaliser son mémoire. En haut de l'amphithéâtre, elle ne pouvait qu'apercevoir l'arrière de la tête des étudiants venus pour discuter du dernier film à l'affiche, de la jupe trop courte de la blonde du troisième rang ou simplement profiter du chauffage de l'université. Le thé froid, la bibliothèque silencieuse, les nuits vides de rêves et l'image de ses yeux bruns, étaient devenus une routine dont Anna semblait s'être accommodée.

Au dernier étage de la bibliothèque, là où sont entreposés les plus anciens ouvrages, ceux qui sont oubliés et dont personne ne se donne la peine de les restaurer ou de les entasser dans des cartons et les descendre aux archives, Anna relisait une neuvième fois son roman fétiche. Cet étage était toujours vide, car soi-disant trop vétuste ; cependant Anna sentait un regard sur elle, des bruits de pas confirmèrent la présence d'un courageux venu braver l'épaisse couche de poussière qui cachait le titre de la plupart des livres. Elle était assise par terre, en tailleur, adossée contre une balustrade, lui permettant ainsi une vue globale de toute la bibliothèque presque vide à cette heure-ci, d'un seul coup d'œil. Les bruits de pas se rapprochèrent, jusqu'à ce qu'elle aperçut des baskets noires s'arrêter devant elle.

« Bonjour », en entendant sa voix Anna vit les yeux bruns tournoyer dans sa tête, elle posa son livre ouvert pour ne pas corner la page et le regarda. Oui c'était bien lui, qui lui tendait la main, elle s'empressa de la serrer en bafouillant un bonjour à peine audible. En l'observant, elle se rendit compte qu'elle n'avait prêté attention qu'à ses yeux. Il avait les cheveux blonds ébouriffés ou peut-être qu'il n'avait pas jugé utile de se coiffer, sa peau était très pâle mais bizarrement ne le faisait pas paraitre malade, ses lèvres étaient fines, rosées et légèrement entrouvertes, laissant apparaitre une rangée de dents parfaitement alignées. Il portait de ce qu'il y a de plus banal, un jean troué au niveau de son genou gauche, un simple pull gris ardoise aux motifs torsadés sous un manteau à capuche en laine noire. C'est à ce moment qu'elle réalisa qu'il était en vie, il se tenait là juste devant elle, pas une goutte de sang. Ce n'était pas possible ! Son cauchemar et la mort de Rémy n'était qu'une simple coïncidence ? Tous ces examens médicaux, ces consultations interminables, le regard accusateur de ses parents, les incantations de sa grand-mère, tout ça n'avaient donc aucun sens ? 17 ans de torture fondés sur un simple rêve dit « prémonitoire » sans preuves tangibles ! Une malédiction qui finalement n'était que foutaise, une façade pour camoufler la peur de ces personnes trop croyantes et mettre un nom sur ce qui n'a jamais existé... « Je m'appelle Jacob », il sorti Anna de toutes ses pensées qui se précipitaient et se cognaient à l'intérieur de son crâne.


Les yeux d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant