Les brins d'herbe s'écrasaient sous le poids de la neige compacte, qui s'affaissait lorsque la semelle de sa chaussure y laissa son empreinte. Anna enfonça encore plus profondément ses mains glacées dans les poches de son imperméable. Le craquement des flocons sous ses pas, lui donnait le rythme à suivre pour ne pas arriver en retard. Elle pouvait déjà apercevoir les derniers étages de l'immeuble à la façade miroitante, au-dessus des arbres nus du parc. Elle accéléra la cadence sans trop savoir pourquoi, les craquements se rapprochèrent, se firent plus nombreux, plus bruyants, de nouvelles empreintes souillèrent la neige. Un autre craquement, mais différent ; Anna sentit la fine peau de son crâne s'ouvrir pour y laisser s'infiltrer une petite sphère de plomb qui ressortit aussitôt en plein milieu de son front. Le trou était net, la douleur vive et sifflante. Le cri d'une petite fille la réveilla.
...
Anna encore haletante, avait à peine eu de temps de s'apercevoir que les portes étaient déjà ouvertes devant elle, qu'elle tomba nez à nez avec le regard le plus froid qu'elle n'avait jamais vu. Des yeux métalliques, composés d'une seule nuance de gris, dénués de tous reflets, qui entourait une pupille noire corbeau. Ils étaient parfaits, de cette perfection glaciale qui force à créer une certaine distance.
18h27. L'agitation permanente qu'il y avait autour d'elle, ne faisait qu'amplifier sa migraine. Elle ouvrit son sac à main en daim, pressa l'opercule de son doigt pour en faire sortir un cachet et l'avala avec un petit mouvement sec de la tête. Elle était immobile, observant tous ces gens pressés qui passaient rapidement devant elle, sans même lui accorder la moindre attention. Kira sentait le froid s'insinuer entre les mailles de son écharpe, lui donnant la chair de poule. Dans le creux de sa main, se logea une petite boule de chaleur, qu'elle pressa légèrement. Elle s'accroupit et réajusta le bonnet de sa fille qui avait glissé devant ses yeux. Debout à la limite de la ligne jaune, l'agitation s'accentua avant même que le métro apparaisse au fond du tunnel.
Anna fit un petit saut et atterrit sur la rame. Elle se retourna, à travers la vitre opaque de la porte, une petite fille secouait sa main emmouflée vers sa direction, elle lui répondit avec un léger pincement de lèvre qui se voulait être un sourire.
...
Seul le flot d'information que débitait la voix calme et dénuée de sentiment, de la présentatrice du journal télévisé, couvrait ses pleurs. Assise à même le sol, serrant ses genoux contre sa poitrine, elle se balançait légèrement d'avant en arrière, faisant grincer les lattes du parquet. « Une jeune femme âgée de trente-deux ans à perdue la vie ce matin dans le parc de Klambratun, situé au centre de Reykjavik. Tuée par balle, un seul témoin, sa fille de quatre ans qui a apparemment assisté à la scène... ». Anna n'écoutait plus. Les larmes perlaient lentement sur ses joues, l'écran qui éclairait faiblement la pièce s'éteignit avec un petit clac sonore, encore une panne de courant. Ses sanglots devenus plus bruyants, secouaient son corps, l'eau salée continuait de couler de plus en plus fort, comme si on avait laissé un robinet ouvert. Les chaussettes d'Anna était trempées, le niveau montait rapidement, pourtant autour d'elle tout semblait sec. L'eau glaciale se faufilait sous ses vêtements, son t-shirt collé à sa peau laissait apparaitre une rangée d'os le long de son dos. Elle ouvrit la bouche pour crier, mais elle glissait déjà le long de sa gorge, Anna sentait ses poumons se remplir de ce liquide meurtrier. Elle ne pouvait rien faire, tout son corps était tendu, ses mains essayaient de repousser l'eau qui reprenait aussitôt sa place, ses jambes battaient sans répit. La surface n'était pas loin, en levant la tête elle pouvait apercevoir la réverbération des rares rayons de soleil. Mais la lumière semblait s'éloigner, ses muscles s'étaient décontractés, son corps devenu lourd s'enfonçait jusqu'à ce que le noir fût complet.
Les yeux grands ouverts, Anna se releva d'un bond, appuyant la paume de ses mains contre son bureau, les ongles plantés dans la chair tendre du bois, elle toussait de plus en plus en fort pour extraire l'iode de sa poitrine.
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Les yeux d'Anna
General FictionLa plupart des gens aiment la compagnie, ont des amis, de la famille sur qui se reposer. Mais quand tous le monde vous tourne le dos pour se que vous êtes, il vaut mieux avoir été habitué à la solitude. Nous caractérisons nous pour ce que nous somm...