Le tic-tac et le mouvement circulaire, hypnotiques des aiguilles de son réveil, la tenaient éveillée. Anna avait passé la journée à fixer l'heure, alternant entre la vieille horloge de la cuisine, la montre de sport qui encerclait son poignet droit et les chiffres lumineux de son portable.
Au milieu de son lit, Anna était recroquevillée sur elle-même, le visage enfuie dans ses cheveux elle pouvait encore y sentir l'air marin. Elle se demandait qui allait être à sa place, là au fond de l'eau, étendu entre les algues et les rochers, suivant le rythme des vagues. C'est à cet instant qu'on toqua à la porte. « Anna ? Anna ? ».C'était Jacob. Depuis qu'elle était partie sans un mot, sans même une explication ; elle avait ignoré tous ses appels et n'était plus allée à la bibliothèque. D'ailleurs elle ne savait même pas comment il avait réussi à trouver son adresse. « Anna ! Ouvre cette porte ! ». Il frappait plus fort, sa voix se faisait plus insistante.
« Jacob rentre chez toi. Articula calmement Anna.
- Tu sais que je n'ai plus de nouvelles depuis trois semaines ! Laisse-moi entrer ! Tu ne vas plus à la bibliothèque, ton portable est toujours éteint ... J'ai dû laisser au moins dix messages sur ta boite vocale. S'il te plait... Débita-t-il rapidement. »
Emballée dans ses draps, Anna pouvait entendre sa respiration, et les battements de son cœur à travers la porte. Un faible « non » sortit de sa bouche.
« Tu finiras bien par sortir. Lâcha Jacob avec un petit sourire en coin. »
Elle n'avait pas fermé l'œil de la nuit, et apparemment Jacob non plus, elle l'avait entendu changer de place plusieurs fois et faire les cents pas le long du couloir. A chaque fois qu'il se levait la lumière du détecteur de présence éclairait les escaliers et se faufilait sous sa porte, illuminant le sol dans un rayon de vingt centimètres puis s'éteignait. Elle finit par céder et fit faire deux tours à la clef sans ouvrir. Jacob appuya lentement sur la poignée et entra chez Anna.
Il enleva soigneusement ses chaussures ; avant de le qualifier de voyou ou de délinquant, ses parents lui avaient appris les bonnes manières. Il se trouvait dans un petit sas, carré, plutôt lumineux malgré l'heure matinale, grâce à la grande baie-vitrée qui couvrait tout le mur à sa gauche. De multiples plantes étaient posées à même le sol, suspendues à la poutre blanche qui traversait le plafond ou poussaient le long du mur, on ne pouvait dire de qu'elle couleur était le papier peint. Cependant on ne se sentait pas étouffer. Jacob poussa la porte à droite, qui n'émit aucun grincement, les murs étaient pourpres mais n'assombrissaient pas la pièce, ils donnaient une impression de hauteur, le plafond semblait inatteignable. Un grand canapé en cuir de couleur noisette recouvert de plusieurs couvertures, deux ou trois fauteuils en velours vert sapin, un tapis praliné en forme d'œuf recouvrant le parquet vieillit, plusieurs esquisses de Léonard de Vinci, et une télévision accrochée au mur, composaient un salon plutôt agréable. Une bibliothèque remplie de livres de médecine ancienne, d'Histoire médiévale et de psychologie de l'enfant, de romans de tous genres, certains étaient même écrits en allemand ou en espagnol, coupait la pièce en deux. Derrière, se trouvait un bureau en bois, parsemé de feuilles, croquis, revues ; plusieurs tasses de thé étaient empilées dans un des coins. Au mur était punaisés des articles de presses ou de chercheurs découpés dans un journal, des photos, une carte de Reykjavik et un tas d'autres documents. S'approchant plus près, Jacob prit plusieurs magazines, « sensation de mort imminente », « des hallucinations ? Nous pouvons vous aider », « la vérité sur les malédictions ». Il ouvrit un carnet, des yeux, de toutes les formes, de toutes les couleurs, des yeux d'enfants, des yeux plus âgés, des yeux d'animaux, ... ses yeux. Il y en avait au moins six de ces carnets. Il les reposa délicatement et se retourna, face à lui, derrière le salon, une verrerie laissait apparaitre le carrelage jaune moutarde de la cuisine. A nouveau dans le sas, il poussa la dernière porte, celle en face de l'entrée. Il faisait sombre, il n'y avait aucune source de lumière mise à part celle qui émanait d'un lampadaire qui devait être à quelques mètres de la fenêtre. La chambre d'Anna tranchait avec le reste de son appartement, elle était dénuée de toutes décorations, il n'y avait aucuns objets personnels, les murs étaient vides. Le lit, seul meuble de la pièce, paraissait immense ; le réveil posé du côté gauche, quelques journaux dépassant d'en dessous et les draps en boules permettaient de savoir qu'Anna dormait tout de même ici. C'est à ce moment qu'il l'aperçut, vêtue d'un short et d'un débardeur noir, quelques mèches sortaient de son chignon, sa frange était ébouriffée ; elle paressait triste et fatiguée. Le petit sourire en coin qui le caractérise, s'effaça rapidement.

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Les yeux d'Anna
Aktuelle LiteraturLa plupart des gens aiment la compagnie, ont des amis, de la famille sur qui se reposer. Mais quand tous le monde vous tourne le dos pour se que vous êtes, il vaut mieux avoir été habitué à la solitude. Nous caractérisons nous pour ce que nous somm...