Elle frottait doucement ses mains sous le jet brûlant du robinet chromé de la cuisine, des petits bulles transparentes aux reflets arc-en-ciel voletaient délicatement autour d'elle, pour se déposer et éclater sur les carreaux moutarde de sa faïence. Debout devant sa fenêtre, Anna observait attentivement les mouvements du sapin et de ses branches qui dansaient de gauche à droite au rythme du souffle du vent, qui redoublait. Il faisait tellement sombre dehors qu'elle devait plisser les yeux pour apercevoir les contours de l'arbre, elle avait l'impression d'être à la limite du néant, d'un trou noir, au bord d'un précipice. Derrière sa fenêtre tout semblait froid, terne et sinistre ; alors que la lumière que renvoyait l'ampoule de la cuisine se reflétait dans le verre de la fenêtre et faisait apparaitre dans un éclat, toute la pièce comme dans un miroir. Seulement elle ne reconnaissait rien, elle n'était plus chez elle. Elle pouvait distinguer le reflet de son visage inconnu, de beaux cheveux roux ondulés qui reposaient sur sa poitrine, des traits fins et harmonieux sur une peau de lait et de grands yeux couleur charbon. Elle arborait un large sourire, et c'est seulement à cet instant, quand des mains se posèrent sur ses hanches, qu'Anna se rendit compte que ce sourire était destiné à quelqu'un. Dans la vitre, elle ne pouvait distinguer son visage qui était enfuie dans sa chevelure chatoyante, elle sentit ces lèvres se poser dans son cou et ce corps se coller au sien pour la plaquer contre la fenêtre. Elle pouvait voir une lueur de désir s'allumer dans ces yeux qui n'étaient pas les siens, une chaleur intense l'irradiait toute entièrement. Elle n'osait plus respirer, elle reprit son souffle seulement lorsqu'il détacha sa bouche de sa peau, pour la faire glisser sur son épaule dénudée. La chaleur se propageait, son sang pulsait dans ses veines, elle plaqua la paume de ses mains contre le verre glacé de la fenêtre pour trouver ne serait-ce qu'un peu de fraicheur. Les mains se déplacèrent, remontant les courbes de son corps, effleurant ces bras pour caresser sa nuque du bout des doigts ; Anna respirait bruyamment, son souffle embuait la fenêtre. L'étreinte se resserra, les mains emprisonnaient son cou dans une lourde pression. Elle pouvait voir le désir se transformer en peur dans le regard paniqué de la jeune femme. Elle voulue crier, lui dire d'arrêter, mais déjà sa voix c'était tue. Désespérément, elle cherchait à agripper quelque chose mais elle glissait sur la surface lisse de la fenêtre ; les mains ne desserraient pas leur emprise pendant que les lèvres continuaient de déposer de légers baisers dans le creux de son cou. Sa respiration commençait à se faire lente, jusqu'à ce que les battements de son cœur s'arrêtèrent pour détendre tout son corps crispé et immobiliser les mouvements de ces yeux affolés.
Anna prit une grande inspiration quand elle rouvrit les yeux dans son salon, allongée sur le parquet devant sa baie-vitrée. Instinctivement elle toucha délicatement la peau de son cou qui était douloureuse, elle pouvait distinguer la forme des doigts qui l'avaient étranglé et laissaient quelques contusions bleutées. Elle se regarda dans la fenêtre, les yeux charbons avaient disparu pour laisser place à ceux bleu nuit, mais la panique était toujours là.

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Les yeux d'Anna
Ficción GeneralLa plupart des gens aiment la compagnie, ont des amis, de la famille sur qui se reposer. Mais quand tous le monde vous tourne le dos pour se que vous êtes, il vaut mieux avoir été habitué à la solitude. Nous caractérisons nous pour ce que nous somm...