15.

5 2 1
                                    

Chacun de nous l'a déjà été, peut-être en ce moment même ; qu'on le veuille ou non, elle est là, elle nous entoure, elle est partout. Elle est peut être insupportable pour certains et pour d'autres apaisante ; elle peut vous détruire aussi, et elle vous détruit bien souvent. Ce silence accablant, celui qui vous permet d'entendre les battements de votre cœur, la trotteuse de votre montre, ou votre propre souffle, celui qui vous blesse, vous empêche de dormir, vous domine. Pourtant il suffit d'une seule chose, une voix, un corps, d'autres battements de cœur à écouter; et la solitude s'évanouie.

Du plus loin qu'elle s'en souvienne, la solitude était là, encrée au plus profond d'Anna. Elle ne la remarquait même plus, c'est incroyable comme on peut s'y habituer, vivre avec, jour après jour au point qu'elle fasse partie de nous. Anna ne cherchait plus à s'en défaire, elle avait déjà essayé de l'abandonner au coin d'une rue ou sous un pont mais rien n'y fait, elle devenait de plus en plus coriace. Anna n'avait jamais vraiment eu d'amis, à l'école, elle attendait désespérément que quelqu'un veuille bien occuper la place à côté d'elle, ce qui n'arriva évidemment jamais. Et puis elle n'avait pas beaucoup d'occasion de faire des connaissances, Anna ne sortait de chez elle que pour prendre le bus qui s'arrêtait à trois maisons de la sienne et pour la déposer juste devant son école. Sinon elle passait la plupart de son temps à alterner entre sa chambre, la cuisine et le salon ; elle avait déjà songé à prendre des cours de danse, d'équitation ou même simplement s'inscrire à un club dans son lycée, mais sa mère lui avait formellement interdit, elle ne voulait pas qu'il arrive malheur à l'un de ses camarades par sa faute. Anna avait donc passé son enfance seule, à faire avancer plusieurs pions aux jeux de sociétés et à pousser ses peluches sur la balançoire. En grandissant, la solitude était de plus en plus grande, un poids qu'elle devait porter ; elle voyait souvent la solitude comme un oiseau, ce petit moineau qui paraissait tellement fragile, qui l'a regardait quand elle était enfant, était devenu un vautour qui venait se poser sur son épaule et qui lui plantait ses serfs profondément dans la peau en l'enveloppant toute entière de ses immenses ailes. Il était rare que le vautour s'envole et quand il partait ce n'était que pour un court instant.

...

Anna était assise au fond de la bibliothèque comme à son habitude, il y avait du monde autour d'elle ; il y avait toujours du monde partout, ces gens, tous inconnus, qui peuplaient son univers. Elle ne devrait pourtant pas se sentir seule, mais la solitude isole, elle forme une barrière entre vous et la réalité ; les ailes du vautour se resserraient, elles enfermaient le corps et l'esprit d'Anna entre ces plumes crasseuses. Quelqu'un posa doucement la main sur son épaule, le vautour s'envola, elle savait que c'était Jacob, il était le seul à réussir à faire s'enfuir l'horrible volatile. Elle ne savait pas vraiment comment, ni pourquoi Jacob arrivait à percer la coquille qui la retenait prisonnière ; cependant elle savait que ce n'était qu'une simple brèche, une petite fissure qui se refermait aussitôt qu'il partait. 

Les yeux d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant