12.

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Adossée contre le crépi blanc et froid, Anna humait l'air empli de parfum de roses et de lys. Elle avait les yeux rivés sur cet unique petit hublot qui dominait toute la maison d'en face. C'était une maison ordinaire, elle comprenait trois étages, et apparemment seulement deux étaient habités ; de légers voilages qui laissaient à peine deviner le décor des pièces couvraient les fenêtres. Tout semblait calme, rien ne laissait paraitre l'horrible évènement à venir. Anna souriait à chaque passant afin de croiser leur regard, et déceler la moindre particularité qui attirerait son attention, cependant tous ces yeux se ressemblaient, tous aussi fades les uns que les autres. Il se faisait tard, tous les commerces étaient déjà fermés et les rues commençaient à se vider, une fois la nuit tombée, le pas des rares personnes qui longeaient la façade des maisons s'accélérait. Elle était seule à attendre quelqu'un qui n'arriverait peut être jamais ; pourtant elle avait sonné à plusieurs reprises et personne n'était venue ouvrir. C'est là qu'elle aperçut une silhouette qui avançait vers sa direction. Il était plutôt grand et avait la peau mate, ces longs cheveux sombres étaient attachés en une queue de cheval lisse, Anna ne pouvait distinguer ses yeux, il était encore trop loin. Au fur et à mesure qu'il se rapprochait, elle sentait un sentiment étrange l'envahir, un mélange de peur et d'excitation, elle savait que c'était lui. Quand il arriva à sa hauteur, la lumière du réverbère éclaira son visage ; son regard était noir, un noir profond qui se veut sans limites, au point qu'on ne pouvait pas distinguer la pupille de l'iris.

Il l'a dépassa en lui adressant un petit sourire, Anna le regarda s'éloigner, elle n'avait rien prévu pour le retenir. Les idées fusaient dans son esprit, elle pouvait lui demander l'heure, mais avec une montre au poignet elle n'aurait pas été crédible ; ou alors lui demander son chemin ou simplement l'aborder avec un « bonsoir » niais. Il était seulement à quelques pas, il fallait rapidement trouver une solution ; c'est là qu'elle remarqua son portefeuille qui dépassait de la poche arrière de son jeans. Anna le suivit sans un bruit, dans un geste rapide et précis elle se retrouva avec le carré de cuir entre les mains. Elle en sortit une carte d'identité, Ewen Pima.

22h29. L'air était humide, la brume formait de minuscules particules d'eau qui recouvraient tout, absolument tout, comme pour recouvrir et nettoyer un paysage trop sale. La plupart des gens étaient déjà rentrés chez eux, en train de manger le parfait diné que leur avait concocté leur femme ; ou bien assis sur le canapé auprès de leurs enfant, à regarder un de ces dessins animés qui savent les hypnotiser, quelque uns étaient peut être à la séance de nuit avec leur petite amie plongeant bruyamment la main dans une montagne de pop-corn ; enfin peu importe ce que les autres faisaient ; Ewen marchait seul, silencieux. Il n'était plus qu'à quelques pas de la résidence où il habitait, quand il tourna légèrement les yeux vers sa droite ; une jeune femme, plutôt jolie, se tenait dans l'encadrement de la porte du fleuriste ; il lui sourit machinalement et continua son chemin en sortant les clefs de la poche de son blouson.

« S'il vous plait ! cria Anna emmitouflée dans son manteau. Ewem fit encore un pas et se retourna pour se retrouver face à Anna.

- Oui ? dit-il en s'avançant.

- Vous avez fait tomber votre portefeuille ! balbutia-t-elle en le lui tendant ».

Anna sentit une décharge la parcourir lorsqu'Ewen effleura ses doigts en récupérant ce qu'elle lui avait volé. Il la remercia avec son plus beau sourire, qui devait faire fondre la plupart des filles, et lui proposa de venir boire un verre chez lui. C'est en indiquant la maison en face d'eux, qu'Anna aperçut enfin une faible lueur derrière le carreau du hublot, une lueur qui se transforma rapidement pour devenir plus intense et destructrice.

« Durant toute la nuit du 6 décembre, une dizaine de pompiers se sont évertués à éteindre le feu incontrôlable qui à consumé une résidence du centre de Reykjavik. Heureusement, l'incendie n'a fait aucune victime ... » Anna esquissa un grand sourire en épinglant l'article de journal au-dessus de son bureau. Elle retourna se blottir auprès de Jacob, assis sur le fauteuil, sans pouvoir effacer de son visage la fierté qu'elle éprouvait à ce moment.

Les yeux d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant