Le ciel était blanc, épais, comme si du coton avait emprisonné la Terre et qu'il se rapprochait petit à petit, lentement, pour combler chaque espace vide, en confinant chaque personne, chaque vie, les isolant des autres, pour les étouffer silencieusement. De petits flocons tombaient pour se fixer à la surface gelée du lac, ainsi que sur le bonnet d'Anna qui fut tirée de ses rêves par le rire d'un petit garçon. En période de Noel, les gens oublient leurs malheurs, affichent un sourire permanent, paraissent plus heureux, du moins en surface. Ce n'était pas le cas d'Anna, Noel faisait remonter à la surface tous ce qu'elle s'efforçait d'enterrer, de cacher, au plus profond d'elle mais qui finissait toujours par ressortir.
C'était son 7ème Noel, le jour le plus attendu de tous les enfants dans le monde entier, à ce qu'il se dit. Elle se souvient de ces nuits, où elle ne pouvait fermer l'œil, guettant le moindre bruit de pas, de papier qui se froisse, de neige qui craque juste derrière sa fenêtre, mais cette nuit-là elle n'avait rien entendue, et toutes celles des 23 décembre qui suivirent, non plus. Elle s'y était habituée au bout de trois réveillons, elle s'asseyait dans le coin du salon sur une chaise en bois brut à côté de la cheminé ; d'ici elle pouvait observer la scène, celle d'une famille parfaite. Un grand sapin harmonieux, que son père était allé couper seul, joliment décoré de boules rouges et ors, de petits flots, guirlandes lumineuses et d'une grande étoile scintillante à son sommet qu'elle n'avait pas eu le droit d'accrocher. Tout le monde était là, ses parents, sa grand-mère, ses oncles et ses tantes ainsi que ses cousins. Ils étaient tous assis sur les canapés et fauteuils pendant que sa mère distribuait les cadeaux parfaitement emballés dans un papier glacé aux motifs de rennes et de lutins. La première fois, Anna avait attendu son tour, impatiente, elle faisait battre son pied contre le tapis et ré humidifiait ses lèvres toutes les vingt secondes en observant le regard émerveillé de sa cousine en découvrant la magnifique poupée qu'elle avait reçu. Anna n'ouvrit aucun cadeau ce Noel là, et tous ceux qui suivirent non plus.
...
Les portes automatiques des magasins ne se fermaient presque plus sous l'affluence inévitable que provoque les fêtes. Anna se faufilait entre les cadis qui débordaient, une abondance de nourriture emplissait les rayons, les gens prévoient toujours beaucoup trop pour les repas de Noel, la moitié finit pour le mieux dans la gamelle du chien ou dans le pire des cas enfermée dans un sac poubelle qu'on ira déposer sur le trottoir le lendemain matin, quel gâchis. Un petit grésillement surplombait le brouhaha de la foule. Une voiture télécommandée glissa entre ses pieds, elle suivait des yeux sa route, elle roulait à toutes vitesses de rayons en rayons, sous les petits cris agacés des clients mécontents. L'adrénaline montait, elle sentait le cuir lisse du volant sous ses doigts, les arbres filaient à toutes allures derrière sa vitre, son cœur battait de plus en plus fort, elle était bien, sereine et emplie d'une joie incontrôlable. Son pied s'enfonçait encore plus, l'aiguille tournait rapidement, le paysage autour d'elle n'était plus qu'une tâche floue, elle se sentait libre, puissante. L'impact fût brutal. La ceinture de sécurité qui la retenait du mieux qu'elle pouvait lui brisa certaines côtes en compressant son thorax, elle sentit sa chaire éclater laissant jaillir un os de sa poitrine ; son crâne se fissura en heurtant violemment le volant, d'épaisses coulures de sang glissaient le long de son visage et brouillaient sa vue ; des milliers de morceaux de verres s'enfonçaient tendrement dans la peau de son cou et de ses mains. Au bout de quelques secondes son corps devint vide, plus aucune sensations, juste le froid, un froid dur et persistent, celui qui nous emporte.
...
Sa main serrait fermement la poignée d'un congélateur, tremblante, elle pouvait apercevoir son reflet dans la vitre ; elle était pâle, son teint était presque verdâtre ; Anna avait des hauts le cœur, elle ouvrit rapidement la porte, engouffra sa main dans l'air glacial et en sortit un pot de glace saveur vanille de macadamia. Arrivée aux caisses bondées, elle reposa le pot glacé dans un rayon, le laissant fondre.
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Les yeux d'Anna
General FictionLa plupart des gens aiment la compagnie, ont des amis, de la famille sur qui se reposer. Mais quand tous le monde vous tourne le dos pour se que vous êtes, il vaut mieux avoir été habitué à la solitude. Nous caractérisons nous pour ce que nous somm...