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Etre née sous une mauvaise étoile, c'est ce que sa grand-mère n'arrêtait pas de lui répéter ; à force Anna avait commencé à le croire, jusqu'à ce que cette pensée s'enracine au plus profond d'elle. Anna pouvait passer sous une échelle, briser un miroir, poser un chapeau sur son lit, ouvrir un parapluie dans la maison et croiser autant de chats noirs qu'il était possible d'en croiser ; rien de pouvait être pire que cette soit disant malédiction. Quand ses parents la regardaient, on pouvait presque voir sur leurs visages, le dégout et la honte. Un soir, où Anna n'arrivait pas à dormir ; certainement à cause de l'un de ces monstres qui logent sous les lits et attendent la pénombre, pour attraper brusquement un pied ou une main qui, cherchant un peu de fraicheur se risquent à sortir de sous les draps ; elle les avait entendu. « Tu sais, parfois je me demande ce que nous avons fait. Et même en cherchant bien, je ne vois rien pour que l'on mérite cela. Tu entends les voisins ? Tout le monde se retourne sur nous au supermarché, je pense que j'irai seule maintenant, elle n'aura cas rester à la maison. Une enfant maudite, franchement si j'avais su... », les paroles de sa mère résonnaient encore dans sa tête. Anna se disait souvent que son enfance ce résumait à ça.

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Elle réfléchissait à une possibilité, en mâchant la pâte feuilletée de son croissant. Une malédiction ? Une bénédiction ? Au fond la différence était infime mais le fardeau était toujours présent. Fixant les mouettes qui flottaient à la surface du lac Tonrjin, Anna fit un lien qu'elle n'avait jamais osé faire, ni même penser. Ce n'était pas elle qui infligeait la souffrance et la mort en entrant dans les yeux de ces inconnus; non, elle était capable de reconnaître le regard du prochain sur la liste ; et elle avait une journée pour trouver une solution, avant que l'évènement ne se produise. Jacob accoudé à la rambarde métallique du pont ne disait rien, il était de ces personnes qui se font rares, celles qui savent lorsqu'il faut rester silencieux.

Jacob avait grandi à Vik, une ville du sud de l'Islande. Toute son enfance avait été organisée, planifiée, préparée ; ses parents régissaient sa vie. Le lundi après sa journée d'école, il prenait des cours de solfège ; le mardi était destiné aux arts et à la culture, il allait au musée, au cinéma ou devait lire un classique dont rien que le titre était déjà ennuyant ; le mercredi était prévu pour les leçons de natation ; le jeudi pour les cours personnalisés, un professeur de mathématiques et de sciences venait approfondir chaque notion pour qu'il ait des connaissances solides ; le vendredi appelé jour de « divertissement », il pouvait rejoindre ses amis, des amis que sa mère avait bien évidemment choisis depuis que Jacob avait eu 4 ans, des amis dont les parents avaient de l'influence et qui pourraient être utile pour une future insertion professionnelle ; le week-end était dédié à la famille. A chaque vacances scolaires, il partait avec ses grands-parents fortunés découvrir un nouveau continent, un nouveau pays, une nouvelle culture ; enfin c'est ainsi que son grand-père décrivait ces voyages. La réalité paressait bien plus pitoyable aux yeux de Jacob, il se rappelle cet énorme hôtel en Inde, qui ressemblait plutôt à un building entouré d'une vingtaine de piscines, où la nourriture débordait des buffets et l'alcool étaient consommé à outrance. Toutes ses voitures de luxes qui étaient laissées aux mains d'un jeune homme paniqué, accoutré d'un costume grotesque. Ces gens dont le centre d'intérêt était l'argent ou plutôt la démonstration de leur argent, ces gens dénués de personnalité, dont la plus grande de leur caractéristique était l'égocentrisme. Un petit domaine élitiste où tout n'était que profusion, entouré de la pauvreté la plus extrême qu'on essayait vainement de cacher des yeux des riches touristes qui restaient enfermés dans ce palais, à leur plus grand bonheur.

Comme si cela ne suffisait pas, chacun de ses repas que ce soit à la maison ou en dehors était parfaitement équilibré entre glucides, lipides et protéines ; ni trop de sucre, de sel, ou de matières grasses ; une alimentation qui ne permettait aucun écart. Ces heures de sommeil étaient calculées, coucher à 21 heures, lever à 7 heures ; les nuits de 10 heures étaient selon sa mère, les plus réparatrices. Toutes les semaines se ressemblaient, un refrain qui se répétait, jusqu'au jour où Jacob décida de briser le cercle.

Il avait bouclé son sac depuis plus d'une semaine, un gros sac à dos kaki où il avait entassé ses affaires que lui avait soigneusement repassé la femme de ménage. Il avait économisé une belle somme d'argent entre ses anniversaires, les fêtes de Noel et les rares élans de générosité de ses grands-parents, en pensant à ce jour. Dans la poche avant, une carte de l'Islande, un paquet de cigarette et un briquet. Il était parti sans laisser de mots, sans prévenir personnes, il avait claqué la porte bleue de sa maison, que tout le monde enviait, où il ne s'était jamais senti chez lui et avait pris une grande bouffée d'air, elle sentait la liberté. Sa vie commença réellement le jour de ses 18 ans.


Les yeux d'AnnaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant