Chapitre 1

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Il était un peu plus de trois heures de l'après-midi lorsque j'aperçois le fils d'Alexandre Morley. Pendant un instant je crois avoir remonté le temps. Oui, je me revois quinze ans en arrière, adolescente de seize ans, naïve et amoureuse.

Le temps a passé et entre temps, j'ai vécu des choses cruelles.

Je contemple le jeune garçon qui se tient devant l'entrée de la cafeteria de la station-service située à cinquante kilomètres de Riverside au Texas. Il a la taille de son père et ses larges épaules. ll possède jusqu'à la fossette que son père avait sur son menton volontaire, jusqu'à la mèche rebelle qui lui barrait le front.

Et Alex, où est-il ?

Je jette un regard nerveux autour de moi, pour essayer de le repérer avant qu'il ne me voie. Ce serait le genre d'Alex, de me prendre par surprise.

Mieux aurait valu éviter cette station, mais vu le niveau de la jauge il valait mieux que je m'arrête si je ne voulais pas finir ma route à pied.

Franchement, je ne suis pas prête à revoir Alex. Pourquoi ai-je l'impression que j'allais regretter ce voyage ? Il ne pouvait pas être au courant de mon retour en ville. Et même... Si jamais il l'avait appris, il ne ferait pas le pied de grue dans cette station-service perdue, dans l'espoir que je m'y arrête un moment ou un autre !

Agacée par la peur ridicule qui s'était emparée de moi, je gagne la pompe la plus proche et coupe le contact. Je n'avais plus le choix, maintenant. Quoi qu'il arrive, je ne pourrais plus fuir.

À cette pensée, je ne pus retenir un sourire. Qui espérais-je tromper ? Le passé ne hantait que moi. Certainement pas Alex. Il devait tout avoir oublié depuis le temps.

Quelques coups secs frappés à la vitre me firent sursauter.

— Alors, ma petite dame, on veut de l'essence ou on n'en veut pas ? demanda un homme penché vers moi.

— Oui le plein s'il vous plaît. Dis-je

Le pompiste hocha la tête et contourna la voiture. J'entends le bruit de l'ouverture du bouchon du réservoir puis celui de la pompe. « Détends-toi ! . D'ici quelques minutes, tu reprendras la route, et Alex ne saura même pas que tu t'es arrêtée ici ».

Devant la cafétéria, le garçon n'avait pas bougé d'un centimètre. Il avait l'air mal en point. Une large bande de sparadrap était sur nez il a le bras droit dans le plâtre. À ses pieds, il y a une selle et des jambières de cuir à frange.

Rodéo. Tout comme son père, il participe à des rodéos.

Je souris encore. Comment s'en étonner ? Chez les Morley, la passion du rodéo se transmettait.

Je tends ma carte de crédit au pompiste qui court à la caisse en évitant les flaques d'eau. Au passage, le garçon lui dit quelque chose en indiquant ma voiture. Le pompiste se contente de hocher la tète avant d'entrer à l'intérieur.

L'homme revint vers moi au pas de course.

— Ce garçon..., dis-je en désignant la cafétéria d'un signe de tête. Il me dit quelque chose...

— C'est Ben, le fils d'Alexandre Morley.Dit-il.

— Il ressemble à son père.

— C'est son portrait craché, oui.

Puis il me regarde avec un soudain respect.

— Vous connaissez Alex ?

— Je l'ai connu autrefois... Dites donc, il a l'air mal en point, ajoutai-je en me tournant vers Ben.

— Il veut devenir champion de rodéo professionnel et passe tout son temps libre en compétition. Il est assez doué, d'après ce qu'on m'a dit. Mais apparemment, ce week-end, la chance a tourné. Il s'est fait secouer un peu fort. Et son père va lui passer un de ses savons ! Il ne veut pas que le gosse perde son temps à faire du rodéo alors qu'il y a du travail au ranch. Le petit s'est arrêté ici, ce matin, ajouta-t-il.

Il jette un regard pensif à Ben et précise :

— Il est allait à la compétition avec juste assez d'argent en poche pour sa participation et quelques hot dogs. Il espérait payer le bus du retour avec l'argent qu'il aurait gagné là-bas. Mais vous devinez la suite... dit-il dans un grand éclat de rire.

— Donc... dis-je hésitante, son père n'est pas là ?

— Non.

Pourvu qu'il ne lise pas le soulagement sur mon visage.

— Vous m'avez dit qu'il n'a pas d'argent. Alex ne va pas venir le chercher ? dis-je.

— Pff... Le gosse préférerait se faire couper la langue plutôt que d'appeler son papa au secours. Ça fait des heures qu'il attend là que quelqu'un le prenne en stop. Au fait, le ranch de son père est à une trentaine de kilomètres, sur la route de Riverside ! Vous ne pourriez pas le déposer, des fois ? Vous allez dans la bonne direction.

— Oh... non. Je... En fait, je ne vais pas tout à fait par là. Je... tourne avant. Dis-je.

Le pompiste marmonne quelque chose. Je mets ma carte de crédit dans mon sac à main, démarre et commence à m'éloigner des pompes, fermement décidé à reprendre la route aussitôt.

Depuis que je sais qu'Alex ne rode pas dans le coin, je suis plus détendue et j'ai une faim de loup. Oui, j'allais m'offrir un sandwich et une tasse de café pour tenir la fin du trajet.

Et puis pour être honnête, je suis très curieuse et j'ai une envie irrésistible d'examiner ce garçon de plus près. Il avait vu le jour quelques mois seulement après la naissance de mon propre fils. Dans ses veines coulait le même sang Morley.

À la différence près que Ben se tient là, grand, fort, vivant, tandis que mon bébé était mort quelques minutes après son premier cri. Oui, pendant que je pleurais toutes les larmes de mon corps à New York, Alex avait déjà mit enceinte ma meilleure amie Suzanne.

Une brusque poussée de colère monta. J'ouvre la portière et cour à la cafétéria. La pluie coulait sur mon visage. Je fis semblant d'avoir du mal à ouvrir la porte, pour me laisser le temps d'observer le fils d'Alex à la dérobée. Il a la tête baissée. Sous son chapeau, je distingue qu'une bouche ferme presque semblable à celle d'Alex.

À l'instant où je prends conscience de me conduire comme une idiote, il lève la tête et me regarde bien en face. Mon cœur faillit s'arrêter, c'est Alex trait pour trait. Prise au dépourvu, je fixe le garçon interdit.

Ben sourit tristement. De toute évidence, il interprétait mal ma stupeur.

— J'suis pas beau à voir, mais c'est moins grave que ça en a l'air. Dit-il.

Je me surprends à lui rendre son sourire. Il avait le visage tout abîmé. Sa lèvre inférieure était fendue.

— Un cheval, dit-il en haussant les épaules. J'avais déjà tenu six secondes, et j'étais en train de réaliser ma meilleure performance de la journée quand il m'a jeté par terre. J'ai eu le souffle couper, et je ne me suis pas dégagé à temps. Du coup il m'est passé dessus. Le médecin a dit que mon nez était cassé sans déplacement, mais que j'aurais les deux yeux au beurre noir une quinzaine de jours.

Involontairement, je tends la main, lui prend le menton, et fit doucement tourner son visage pour l'examiner. Devant son air inquiet, j'éclate de rire.

— Ne t'en fait pas, tu seras bientôt aussi beau qu'avant.

Il piqua un fard. Tient sur ce point, il ne ressemblait pas à son père... Alex avait toujours été conscient de l'effet que sa beauté produisait sur toutes les filles qui l'approchaient.

— Bon, eh bien j'espère que tu auras plus de chance la prochaine fois. Dis-je avec un sourire.

Puis mon cœur se serre. Quel effet cela faisait-il d'avoir un fils ? Un fils comme lui ? Quelle vie aurais-je eue si Alex m'avait vraiment aimé ? Si... si...

Un dernier sourire, et je pénètre dans la cafétéria.



Hate & LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant