Adèle, 12 novembre 2013

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Jean et moi nous sommes encore disputés aujourd'hui. Je viens de coucher les enfants et je ne me remets toujours pas de ses accusations. Des deux parents, j'ai toujours été celle qui accordait la plus grande importance à la sécurité, et après l'épisode du four, voilà qu'il me reproche à nouveau d'être négligente.

Nous habitons le dix-septième arrondissement, au quatrième étage d'un immeuble Haussmannien, et les deux fenêtres de notre double séjour donnent sur un balcon. La balustrade est vétuste et elle n'est pas sécurisée. Nous nous sommes toujours montrés très prudents, interdisant purement et simplement l'accès au balcon aux enfants. Les fenêtres sont maintenues fermées à clé et les poignets étant trop hautes pour qu'ils puissent les atteindre, ils ne risquent rien. Nous n'ouvrons les fenêtres que lorsque nous nous trouvons dans le salon avec eux et alors nous ne les quittons pas des yeux.

Cet après-midi, pendant qu'Abel était à l'école, et que Robin était sagement occupé à jouer dans sa chambre, je m'étais installée dans la chambre de Jean, car nous y avons aménagé un coin bureau, et j'avais entrepris d'avancer un peu sur ma thèse. J'entendais Robin dans la pièce voisine et je me levais de temps à autre pour jeter un oeil sur lui mais je savais qu'il ne risquait rien.

Aujourd'hui, Jean est encore rentré plus tôt que d'habitude. Cela lui arrive de plus en plus souvent ces dernières semaines. En temps normal, cela m'aurait réjouie, mais étant données les tensions qui existent entre nous, je commence à me demander s'il ne me surveille pas.

J'étais toujours en train de travailler dans le bureau quand la clé a tourné dans la serrure. J'ai entendu les pas de Jean qui s'accéléraient en direction de la chambre de Robin, puis mon mari s'écrier avec soulagement : "Robin mon chéri tu es là, Dieu merci !". Puis, avec colère "Adèle, il faut que je te parle !".

– Que se passe-t-il ? ai-je demandé, l'innocence dans ma voix à demi feinte, car je savais pertinemment que Jean s'apprêtait à me faire un reproche, mais j'ignorai encore lequel.

– Les fenêtres du salon étaient grandes ouvertes, a-t-il lancé d'un ton accusateur.

– Mais enfin bien sûr que non, c'est impossible !, me suis-je défendue.

Oui, j'avais ouvert les fenêtres pour aérer le salon pendant la sieste de Robin, mais j'avais pris soin de les refermer ensuite, j'en étais certaine.

– Je te dis que les fenêtres étaient grandes ouvertes, a-t-il maintenu, avec plus de fermeté dans la voix.

– Mais enfin Jean, je t'assure que les fenêtres sont fermées, ai-je insisté, tout en me dirigeant vers le salon. Tu vois, ai-je dit, en désignant les deux fenêtres.

– Oui, elles sont fermées maintenant, évidemment, c'est moi qui les ai fermées en rentrant.

– Et bien moi je t'assure que les fenêtres étaient fermées avant que tu ne rentres, tu as dû rêver.

– Franchement, Adèle, tu penses que je pourrais "rêver" une telle chose ? Tu penses vraiment que savoir si les fenêtres sont ouvertes ou fermées n'est pas la première de mes préoccupations ?

– Robin ne risquait rien.

– En es-tu bien sûre ? Comment est-ce que je peux te faire confiance, alors que tu laisses les fenêtres ouvertes sans même t'en rendre compte ?

– J'en ai assez de tes accusations. Laisse-moi tranquille.

– C'est décidé, nous allons quitter cet appartement, je ne peux plus supporter de vivre ici.

C'était un motif récurrent de nos disputes. Je ne voulais pas quitter Paris, mais Jean avait décrété que nous devions déménager en banlieue, dans une maison, avec un jardin, loin de la pollution automobile, et de préférence près de chez sa mère. Pour moi il n'en était pas question. Je me sentais déjà suffisamment seule à Paris pour aller m'isoler davantage dans une banlieue où je ne connaîtrais personne et où je me sentirais totalement déracinée.

À la recherche d'une bonne raison pour ne pas prolonger cette dispute, j'ai jeté un coup d'œil à l'horloge du salon, et j'ai constaté avec soulagement qu'il était l'heure d'aller chercher Abel à l'école. Sans dire un mot, j'ai enfilé mon manteau et me suis dirigée vers la porte d'entrée. Je venais de saisir la poignée lorsque la voix de Jean me fit sursauter.

– Mais enfin Adèle, où pars-tu si vite ?

Il avait l'air sincèrement surpris, et son ignorance me rappela qu'il n'était jamais allé récupérer Abel, si bien qu'il ne connaissait pas l'heure de la sortie des classes.

J'ai préféré ne rien répondre, et, avec un soupir agacé, j'ai quitté l'appartement.

L'autre filsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant