L'autre fils

Adèle, 17 octobre 2013

Cela fait un mois et demi que Robin va à la crèche. Je l'y dépose chaque jour à treize heures, puis je le récupère à seize heures. La crèche et l'école ne sont pas trop éloignées, ce qui me permet de récupérer Abel à seize heures dix. Tout se passait bien, j'étais plus détendue et Jean et moi nous disputions moins. J'arrivais même à dégager un peu de temps pour avancer sur ma thèse.

Tout se passait normalement jusqu'à aujourd'hui. Aujourd'hui, je n'ai pas pu arriver à l'heure à l'école pour récupérer Abel parce que j'ai été retenue à la crèche plus de trente minutes.

Quand je suis entrée dans la salle où jouait Robin, j'ai perçu le regard gêné des auxiliaires de puériculture, jusqu'à ce que l'une d'entre elle, Julie, sa "référente", se décide à me parler. Elle m'a demandé de la suivre dans un recoin isolé et a chuchoté, embarrassée :

– Nous avons eu un problème avec Robin, aujourd'hui.

– Quel genre de problème ? ai-je demandé abruptement, agacée par tant de mystère.

– Il a mordu un autre enfant.

– Mordu ! Robin ! Mais c'est impossible !

– Madame, j'ai été moi-même témoin de la scène aujourd'hui, et je peux vous assurer que c'est la vérité.

– Pourriez-vous m'expliquer clairement ce qui s'est passé ?

Je ne cessais de regarder ma montre, pensant à Abel qui m'attendait. Cette femme n'avait pas l'air de remarquer que j'étais pressée.

– Eh bien, l'autre enfant était en train de jouer avec une petite voiture en bois...et d'un seul coup Robin lui a arraché le jouet des mains et a commencé à le frapper à la tête, puis il l'a mordu. Cela arrive souvent, je veux dire, que certains enfants en mordent d'autres. Mais là...

Elle hésitait à finir sa phrase.

– Mais là quoi ?

– Là, Robin ne voulait plus lâcher l'autre enfant. Nous avons dû nous y mettre à plusieurs pour lui faire desserrer les dents. L'autre petit saignait. Enfin, je me suis dit qu'il fallait vous mettre au courant.

L'auxiliaire de puériculture, m'ayant livré sa version des faits, attendait ma réaction. Tandis qu'elle scrutait mon visage, je regardais Robin, assis dans un coin, qui tournait calmement les pages d'un imagier.

Comme je restais silencieuse, l'auxiliaire a repris :

– Écoutez Madame, je ne veux pas vous inquiéter, mais une telle agressivité a sûrement une cause. Peut-être pourriez-vous en parler à un spécialiste ? nous avons des noms à vous proposer, et il y a aussi une psychologue ici, les consultations sont anonymes et gratuites.

Je n'en revenais pas que cette femme, qui ne connaissait mon fils que depuis quelques semaines, se permette de le juger de la sorte.

– Mais vous plaisantez ? Je ne vais pas me précipiter chez un psychologue parce que Robin s'est défendu contre un enfant qui lui avait pris son jouet !

– Mais, Madame, ce n'est pas ce que...

– Cela suffit. Je suis pressée, vous m'avez déjà fait perdre assez de temps avec vos idioties.

J'ai pris Robin par la main, et sans autre forme de politesse, nous avons quitté la garderie.