Adèle, 6 Août 2014

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Je n'ai pas parlé à Jean de la crise d'Abel. Il ne m'a pas posé de questions et cela m'a soulagée. J'ai trop peur de ce qu'il pourrait dire. Je n'ai pas envie qu'il en fasse toute une histoire. Je préfère me convaincre qu'Abel a agi ainsi par jalousie. J'essaie de passer le plus de temps possible avec lui pour lui montrer que je l'aime toujours autant, même aujourd'hui, alors que nous fêtons les deux ans de son petit frère.

Madeleine n'est pas venue au goûter d'anniversaire cette année. Nous ne nous parlons plus. Le week-end, Jean emmène parfois les enfants en promenade pour me laisser travailler sur ma thèse, et je sais qu'il profite de ces moments pour voir sa mère en mon absence. Abel et Robin conservent ainsi un lien avec leur grand-mère. C'est un accord tacite entre Jean et moi.

L'après-midi touchait à sa fin. Robin avait ouvert ses cadeaux, soufflé ses bougies. Nous avions mangé le gâteau. J'étais perdue dans mes pensées, songeant aux livres que j'aurai besoin de consulter lors de ma prochaine visite à la bibliothèque, quand la voix de Jean m'a fait sursauter :

– Tu es fatiguée ?

– Comment ? Pourquoi, j'ai l'air fatigué ?

– Oui, tu n'arrêtes pas de bâiller, tu ne t'en rends pas compte ?

– Non, désolée.

Bien sûr que j'étais fatiguée, je me levais chaque nuit. Mais c'était un sujet sensible, et je ne voulais pas entrer dans un nouveau conflit.

– Adèle, est-ce que tu es sûre que tu vas bien ?

Son ton était inhabituel, il n'était pas agressif, mais plutôt gêné. Je ne comprenais pas où il voulait en venir.

– Bien sûr, je vais très bien, je suis juste fatiguée parce qu'Abel dort mal la nuit.

Jean m'a regardée fixement l'espace de quelques secondes, l'air inquiet.

– Tu veux dire Robin ?

– Je voulais dire Robin, oui, parce que Robin dort mal.

C'était bien Abel qui dormait mal, mais je préférais cacher ce problème à Jean, parce qu'il m'aurait interdit de me lever pour aller le consoler, prétextant qu'il avait passé l'âge des réveils nocturnes. Cela n'aurait fait qu'aggraver la rivalité entre nos deux enfants.

– Justement, Adèle, est-ce que tu es sûre qu'il t'appelle la nuit ?

Que pouvait-il en savoir, lui qui dormait à poings fermés quoi qu'il se passe ?

– Où veux-tu en venir ? l'ai-je interrogé.

J'étais fortement agacée par ses insinuations. Me prenait-il pour une folle ? On sait bien que ce sont toujours les mères qui entendent les pleurs de leurs enfants la nuit, cela arrange bien les pères d'ailleurs.

– Et bien, ne trouves-tu pas cela étrange que tu sois la seule à l'entendre ?

– Non, cela ne me surprend pas, tu ne l'entends pas parce que tu n'as pas envie de te lever, c'est tout !

– Peut-être...mais...enfin... Robin se plaint que tu le réveilles la nuit.

– Comment ? tu essaies de monter mon fils contre moi, c'est ça ? c'est parce que tu es jaloux de la relation que j'ai avec lui, alors que toi, évidemment, tu ne le vois jamais !

– Enfin, Adèle, calme-toi. J'essaie simplement de te dire que je me fais du souci pour toi, et pour Robin...

Tandis qu'il parlait, je réfléchissais. Pourquoi est-ce que Robin, d'habitude si secret, s'était ainsi confié à son père ?

– Tu l'a emmené voir ce psychiatre en cachette, sans moi ! Je n'arrive pas à y croire ! Tu vas le rendre fou ! C'est ce docteur Leroy qui lui a monté la tête et qui lui fait dire n'importe quoi !

Jean s'est tourné vers moi, l'air coupable.

– Oui, je suis allé voir le docteur Leroy seul avec Robin. Je pensais qu'il se sentirait plus libre de parler.

– Puisque c'est ainsi, je ne remettrai plus les pieds chez ce charlatan. Tu sais, on peut faire dire n'importe quoi aux enfants avec les bonnes méthodes. Pauvre Robin, tu ne te rends pas compte du mal que tu lui fais.

– C'est toi qui n'as pas conscience du mal que tu lui fais. Enfin Adèle, réveille-toi ! Quand vas-tu enfin regarder les choses en face ?

J'ai choisi d'ignorer les nouvelles accusations de Jean, qui s'ajoutaient à la liste interminable de ses reproches me concernant.

– Je vais préparer le bain.

– C'est ça, ignore ce que je te dis. C'est pour le bien de Robin que j'ai agi, et j'ai eu raison !

Les enfants avaient assisté à la scène, une fois de plus. À la colère et la lassitude s'ajoutait la culpabilité.

J'ai tourné le dos à Jean et je me suis dirigée vers la salle de bain, en me disant que nous avions échoué non seulement en tant que couple, mais aussi comme parents, parce que nos enfants étaient malheureux par notre faute. 

L'autre filsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant