Jean, 18 septembre 2014

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Nous venions de monter dans le taxi quand mon téléphone s'est mis à sonner. C'était Clara. J'ai hésité, puis j'ai décroché :

– Allô ? Oui, je suis occupé, ce n'est pas le moment.

– Attends, Jean, j'ai quelque chose d'important à te dire.

– Dépêche-toi, je n'ai vraiment pas le temps.

– Adèle est bien inscrite en doctorat. À Toulouse. Je suis désolée, j'aurais dû mieux me renseigner la dernière fois que nous nous sommes vus, mais tu avais l'air tellement persuadé qu'Adèle t'avait menti que cela m'a influencée. Elle t'a dit la vérité. Et je suppose que si elle ne m'en a pas parlé, c'est parce qu'elle ne voulait pas de mon aide.

J'ai regardé ma femme. Adèle était perdue dans ses pensées. Elle avait l'air résigné, et elle ne se souciait pas de ma conversation. Elle devait penser que c'était un coup de téléphone professionnel.

– Merci, ai-je simplement répondu d'une voix neutre. Au-revoir.

J'ai raccroché. Alors Adèle disait vrai. Je me sentais coupable. Je ne l'avais pas crue, mais je croyais Clara. Il fallait que je laisse à ma femme une chance de s'expliquer. Et surtout que je lui dise la vérité moi aussi. J'ai demandé au chauffeur de faire demi-tour et de nous raccompagner chez nous.

Au bout de quelques minutes, Adèle s'est enfin rendu compte que nous changions de direction.

– Mais Jean, ce n'est pas le chemin de l'hôpital !

– Je sais. Mais je pense qu'il est temps que nous ayons une véritable discussion. Rentrons à la maison. J'ai pris ma journée.

Adèle m'a souri. C'était un sourire empreint de tristesse, mais cela m'a redonné du courage. Peut-être que si nous parvenions à briser le mur de silence qui nous séparait depuis plus de deux ans, nous pourrions enfin nous retrouver ?

De retour à notre appartement, je nous ai préparé du café. Cela faisait si longtemps que je ne m'étais pas occupé d'elle. Adèle était en train de défaire sa valise. Je suis sorti nos deux tasses à la main pour l'attendre sur le balcon. Il faisait encore très doux, comme c'est souvent le cas à Paris en septembre. C'était encore l'été.

Adèle m'a rejoint, et pendant plusieurs minutes, nous nous sommes simplement tenus côte à côte, buvant notre café à petites gorgées, en silence. Mais ce n'était pas le même silence pesant que celui qui nous isolait depuis des mois. À cet instant je pouvais lire dans les pensées de mon épouse, et je savais que ce moment de complicité lui rappelait les souvenirs heureux que nous avions partagés.

Car moi aussi je repensais avec nostalgie à nos débuts, lorsque nous nous étions rencontrés à New York, alors que nous étions tous deux encore étudiants. Seulement trois mois après notre rencontre, elle avait emménagé dans le loft que je louais à l'époque à Brooklyn. Nous avions l'habitude de nous lever tôt et de prendre notre café sur le toit terrasse de l'immeuble. Les grattes ciel de Manhattan que l'on distinguait au loin étaient baignés d'une lumière rose et chaque nouveau jour qui se levait semblait plein de promesses. Tandis que nous admirions la vue sur cette ville étrangère, qui nous paraissait pourtant si familière, nous imaginions ce que serait notre vie ensemble. Même si nous avons connu des jours heureux à Paris, je crois que nous ne nous sommes jamais sentis aussi proches que dans ces moments là.

Et tandis que je me remémorais notre bonheur révolu, et qu'il me semblait que pour la première fois depuis longtemps Adèle et moi nous comprenions, je devenais de plus en plus convaincu de la nécessité de quitter cet endroit où ne pourrions plus jamais être heureux.

– Je ne t'ai jamais trompée, ai-je déclaré.

– Mais pourtant, je croyais que Clara et toi ?

– Je ne t'ai jamais trompée, mais Clara m'a fait des avances. À plusieurs reprises. Je ne t'en ai pas parlé parce que j'avais peur que tu ne me crois pas. C'était il y a longtemps et cela ne sert plus à rien de lui en vouloir aujourd'hui.

– Clara ?

– C'est du passé. Je te jure qu'il ne s'est rien passé entre nous. Et je te crois pour ta thèse. J'ai eu tort.

– Je ne pourrai jamais lui pardonner.

– Je comprends. Comme tu voudras.

J'ai volontairement omis de lui dire que c'était le coup de téléphone de Clara qui m'avait fait changer d'avis concernant l'hôpital.

– Je suis désolée de t'avoir menti moi aussi. J'aurai dû te dire que je n'étais pas inscrite à la Sorbonne.

– Cela ne fait rien. L'important, c'est que nous puissions nous parler maintenant.

– Oui, c'est ce qui compte à présent, que nous arrivions enfin à nous dire les choses.

Adèle s'est avancée vers moi, et je l'ai serrée dans mes bras. Mais tandis que je savourais cet instant de tendresse retrouvée, mon téléphone a vibré, me ramenant brutalement à la réalité. J'ai extirpé l'appareil de la poche de mon jean sans rompre notre étreinte ; sur l'écran deux appels en absence étaient affichés : un de ma mère, et un du docteur Leroy. Je leur devais des explications à tous les deux. Mais j'ai préféré remettre cela à plus tard. J'étais trop heureux d'enfin retrouver ma femme, le reste pouvait attendre. 

L'autre filsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant