Adèle, 22 décembre 2013

140 15 0
                                    

Quand Jean est rentré ce soir, j'ai tout de suite vu que quelque chose n'allait pas. Je redoutais le moment où, une fois les enfants couchés, il laisserait éclater sa colère. Et c'est ainsi qu'une énième dispute s'est amorcée :

– Tu aurais dû m'en parler. Tu aurais dû, je suis son père, ce qui est arrivé est grave, cela veut dire que Robin va mal, et c'était ta responsabilité de me mettre au courant.

J'ai toute de suite compris qu'il faisait référence à ce qui s'était passé à la crèche deux mois plus tôt. J'aurais dû lui en parler, le le savais, je n'ai fait qu'empirer les choses en lui cachant l'incident. Évidemment, il a fallu que cette incompétente de Julie appelle Jean sur son portable. C'était lui qui s'était occupé de l'inscription, c'était donc ses coordonnées qui figuraient dans le dossier de Robin. Comme je ne répondais rien, Jean a poursuivi.

– Puisqu'il s'avère que je suis le seul parent responsable, j'ai décidé seul de prendre rendez-vous chez un pédopsychiatre. Je n'ai pu obtenir rendez-vous que dans un mois, parce que c'est quelqu'un de très demandé. J'espère que tu seras présente.

Il fallait que je réagisse. Je ne pouvais pas le laisser me traiter d'incapable.

– Tu as raison sur un point : j'aurais dû te parler de ce qui s'est passé à la crèche, non pas parce que cela me semble important ou "grave", mais parce que je savais que tu réagirais de façon disproportionnée si tu l'apprenais par quelqu'un d'autre.

– Ma réaction ne me paraît pas disproportionnée. Robin souffre, cela est évident, tu le verrais toi aussi si tu n'étais pas si...

– Si quoi ? Robin va très bien, c'est un petit garçon épanoui qui a simplement quelques problèmes de sommeil et qui sait se défendre quand il le faut.

– Se défendre ? Mais Adèle, est-ce que tu t'entends ? C'est lui qui agresse les autres ! régulièrement ! il n'y a pas eu un seul incident, d'autres ont suivi. Comme tu ne réagissais pas, ils ont fini par m'appeler moi en désespoir de cause. Comprends-tu que le comportement de Robin déstabilise les autres enfants, au point que la directrice menace de l'exclure de la crèche si nous ne résolvons pas le problème ?

Je n'ai pas su quoi répondre. J'étais interloquée. D'autres incidents ? Régulièrement ? Mais pourquoi ne m'avait-on pas mise au courant moi, moi la mère, qui l'amène et qui va le chercher tous les jours ?

– Nous avons rendez-vous dans deux semaines, je compte sur ta présence et ta coopération, a conclu Jean, avant de quitter le salon pour sa chambre, où il allait rester enfermé jusqu'au lendemain matin, comme c'était son habitude depuis plusieurs semaines maintenant.

Me retrouvant seule dans le salon, je regardais tristement les photos de nos heureuses années, qui me paraissaient si loin à présent, quand un détail attira mon attention. Sur la cheminée, le cadre de la photo d'Abel au Parc Monceau, ma préférée, était retourné. C'était sûrement Robin qui l'avait déplacée, il touchait à tout. J'ai remis la photo bien en évidence, et je suis allée me coucher, en me demandant combien de temps Jean et moi allions encore pouvoir nous déchirer sans nous séparer. 

L'autre filsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant