Adèle, 23 janvier 2014

155 16 3
                                    


– Et vous, Madame, comment allez-vous ?

C'est ainsi que le docteur Leroy avait tenté de me faire prendre part à la conversation. C'était sa stratégie pour me placer au centre de l'attention. Évidemment à ses yeux j'étais responsable des prétendus problèmes de Robin. C'est toujours pareil. Tout est la faute de la mère.

– Je vais bien, merci.

Il espérait certainement je me confie davantage, mais je n'en avais aucune intention. C'était un homme barbu d'une soixantaine d'années, à l'air débonnaire. Ses yeux bleus, qui brillaient derrières de petites lunettes rondes à la monture argentée, me rappelaient vaguement ceux de l'acteur Robin Williams. Mais je refusais de me fier à son apparente bienveillance.

Voyant que j'étais peu bavarde, le médecin a posé une nouvelle question.

– À la maison, comment cela se passe-t-il entre vous, je veux dire, dans votre couple ? Est-ce qu'il a des disputes fréquentes, des tensions qui pourraient expliquer le comportement de Robin ?

– Oui, nous nous disputons souvent, a répondu Jean sans hésiter.

Je lui en voulais de s'épancher ainsi auprès d'un parfait inconnu.

– Et quels sont les sujets sur lesquels vous vous disputez ?

– Adèle me reproche de ne pas suffisamment l'aider. Je travaille beaucoup donc j'ai peu de temps, c'est vrai.

– Je vois. Et vous, Monsieur ? Avez-vous des choses à reprocher à votre femme ?

Jean m'a lancé un regard coupable, avant de déclarer :

– Oui.

– Pourriez-vous préciser ?

Jean s'est à nouveau tourné vers moi. Il m'a semblé qu'il aurait voulu s'exprimer, mais qu'il n'osait pas. Il attendait visiblement que j'intervienne pour répondre à sa place. Mais j'ignorais ce qu'il voulait que je dise. Alors je suis restée silencieuse.

Au bout d'un long moment, comme ni l'un ni l'autre nous ne prenions la parole, le docteur Leroy est intervenu.

– Écoutez, vous me dites que vous vous disputez, et les disputes, bien que désagréables, devraient au moins vous permettre de communiquer. Or il me semble qu'il y a beaucoup de choses que vous ne vous dites pas, des choses essentielles. Les secrets de famille sont très lourds à porter, pour les enfants encore plus que pour les adultes.

Comme nous ne disions rien, il a continué :

– La séance d'aujourd'hui a déjà permis d'isoler ce problème, qui me semble être à la source de tous les autres. Je vous propose que l'on se revoit dans deux semaines ? et peut-être que d'ici là, vous pourriez essayer de renouer le dialogue à la maison ?

Tandis que Jean remplissait un chèque à l'attention du médecin, j'observais Robin, qui était resté sagement assis pendant ce long entretien. Le docteur lui avait fait faire quelques puzzles et des jeux de construction. Il s'était docilement prêté à ces exercices. En le voyant aujourd'hui, je me suis sentie terriblement coupable, parce que j'ai lu la tristesse dans son regard, une tristesse en décalage avec son âge. Jean avait raison. Robin est malheureux. Bien que je n'ai aucune confiance en ce psychiatre, notre fils semble effectivement porter le poids d'un terrible secret. Est-ce que Jean sait ce qui fait souffrir Robin ? Pourquoi ne me met-il pas au courant ?

L'autre filsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant