Adèle, 2 février 2014

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Le rendez-vous chez le docteur Leroy n'a rien changé à notre relation. Jean et moi ne nous parlons pas plus. J'ai l'impression qu'il m'en veut de ne pas avoir plus parlé lors de l'entretien. Et moi je voudrais qu'il me dise ce qu'il sait et que j'ignore. Est-ce possible que Robin soit malheureux à cause de son père ? Est-ce qu'il lui a fait du mal ? Cela me semble impossible, et pourtant je ne peux m'empêcher de me poser la question.

Malgré mon sentiment de culpabilité, je me suis mise en colère contre Robin aujourd'hui. Cela ne me ressemble pas, mais je suis contrariée en ce moment, parce que cela fait plus de trois semaines que j'ai envoyé une vingtaine de pages à mon directeur de recherche, et que je n'ai reçu aucune réponse. J'écris dans le vide. Je ne me cherche pas d'excuses, mais c'est aussi pour cela que j'ai perdu patience avec Robin, alors qu'il n'y est pour rien le pauvre.

Je regrette d'avoir haussé le ton, alors que je le vois toujours aussi malheureux, mais sur le moment je n'ai pas pu m'en empêcher. J'étais dans la cuisine en train de préparer le repas des enfants quand j'ai vu Robin sur le pas de la porte, un dragon en peluche dans les bras. J'ai immédiatement reconnu l'animal violet aux ailes jaunes, le jouet préféré d'Abel.

– Où as-tu trouvé ça ? l'ai-je interrogé brutalement.

Je n'attendais pas de réponse, car Robin, à dix-huit mois, ne parlait pas encore vraiment. En revanche, il comprenait très bien le sens de mes paroles et la dureté de mon ton l'a heurté de plein fouet.

– Tu es allé fouiller dans la chambre de ton frère, c'est ça ? tu sais que ce n'est pas bien, ce ne sont pas tes jouets, tu n'as pas le droit de prendre ses affaires sans lui demander la permission.

Robin me regardait, immobile, et je voyais bien qu'il était au bord des larmes, mais j'ai continué.

– En plus, tu n'as pas choisi n'importe quel jouet, tu as pris le dragon préféré d'Abel, tu dois bien savoir que c'est celui qu'il garde tout le temps avec lui, tu l'as fait exprès, tu es un méchant petit garçon !

C'en était trop. Robin a jeté le dragon parterre de toutes ses forces et s'est mis à hurler ; de grosses larmes roulaient le long de ses joues rougies par le chagrin. J'avais le coeur serré de le voir dans cet état, et je savais que je m'étais montrée trop dure envers lui, mais il fallait bien prendre la défense d'Abel, qui se sentait déjà suffisamment délaissé comme cela.

Robin pleurait depuis cinq bonnes minutes sans que je sois parvenue à le calmer quand Jean a franchi le seuil de notre appartement. Son fils s'est précipité dans ses bras ; il l'a consolé tout en me jetant un regard accusateur.

Une fois Robin apaisé, la soirée s'est déroulée normalement, avec le dîner, puis le bain et le coucher des enfants.

Lorsque Jean et moi nous sommes retrouvés seuls, il m'a questionnée sur la raison de la crise de larmes de Robin.

– Il avait pris le dragon d'Abel dans sa chambre, sans demander la permission, ai-je simplement expliqué.

Jean est resté silencieux un moment. Anxieuse, j'attendais sa réaction. Je pensais qu'il se mettrait en colère, qu'il m'en voudrait d'avoir grondé Robin trop fort. Mais il a inspiré, puis expiré, comme s'il réfléchissait à ce qu'il fallait ou ne fallait pas dire. L'attente était éprouvante, j'avais peur qu'une nouvelle dispute éclate. Mais à ma grande surprise, il ne m'a pas accablée.

– Je te comprends. Cela a dû te faire un choc de voir ce dragon dans les bras de Robin. Mais il faut essayer de contrôler tes émotions, il n'y est pour rien, il est trop petit pour comprendre, il ne pouvait pas savoir ce que cela te ferait.

– Oui, tu as raison, ai-je répondu, tout en songeant que c'était surtout Abel qui n'aurait pas aimé voir son dragon dans les bras de son frère. C'était des états d'âmes de son fils aîné que Jean aurait dû se soucier, pas des miens. Mais, trop contente que pour une fois, nous ayons pu nous parler sans crier, j'ai renoncé à confier le fond de ma pensée à Jean.

L'autre filsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant