10. La Terre grise

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« Je n'ai pas confiance en Alcide Carmin.

Arthur leva la tête de son écran.

– Moi non plus, indiqua-t-il.

– Le problème de la « porte dérobée » n'a pas l'air de les intéresser, compléta Ophélie.

Ils se regardèrent. Deux scientifiques sous perfusion de caféine, aux cernes creusées, travaillant littéralement jour et nuit, dormant par intermittence et ne portant plus que des vieux t-shirts froissés. Dans leur déchéance progressive, ils se ressemblaient. Un mois plus tôt, cela les faisait encore rire.

– Finalement, c'est assez facile à implémenter. Pas dans le réseau neuronal, mais dans l'instance de décision. Ça reste une machine à états. Il suffit d'encoder des entrées spéciale, à bas niveau pour que les utilisateurs ne s'en rendent pas compte.

– Nous sommes les deux seules personnes à savoir comment il fonctionne, résuma-t-elle.

– Nous sommes les seuls à avoir besoin de savoir, conclut-il.

Un simple code suffirait. Une simple chaîne de caractères à encoder et stocker d'une manière quelconque. Ils pouvaient même la placer à l'intérieur du système.

– Une musique, dit Ophélie.

– Ce n'est pas un peu trop... extravagant ? »

Mais à quatre heures de sommeil par nuit, rien ne leur semblait plus vraiment farfelu. Une musique. La correspondance anglo-saxonne entre notes et lettres leur permettrait d'encoder leur clé. Personne n'y ferait vraiment attention. Ils travaillaient déjà avec de la musique, pour entraîner le système à la reconnaissance, la catégorisation et la production des sons.

Omni pouvait-il être corrompu par ses employeurs ?

Si jamais cela arrivait, ils auraient le dernier mot.


***

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Arthur ouvrit immédiatement les yeux.

Il était seul.

La machine temporelle avait disparu, évidemment. Le paysage avait changé. Cinq siècles avaient aplati les ruines et recouvert celles-ci de terre, de gravier, en faisant des collines et du relief. Le cylindre d'espace dans lequel il était apparu avait mangé une partie du sol, mais seulement sur cinquante centimètres de hauteur. Le petit disque blanc était toujours sous ses pieds.

Lorsqu'il mit le pied pour de bon sur la terre, il remercia Carmin de lui avoir donné ces chaussures épaisses, car des centaines d'insectes détalèrent, la plupart suffisamment armés pour lui causer du tort. Des scolopendres de dix centimètres de long bardés d'épines venimeuses, et des araignées aux pattes épaisses et velues.

Il se pencha sur le sol et creusa un peu, la main protégée par son gant. La terre s'effrita entre ses doigts. Il y avait des insectes, des vers, et des filaments mycéliens blanchâtres. Faute de vie végétale apparente à la surface.

On lui avait dit que les hommes vivaient sous terre. Il était donc opportun de se rendre sous terre. Pas forcément évident, cependant.

Au loin, une forme émergea d'un banc de brume. Une usine titanesque, qui crachait des milliards de tonnes de fumée dans l'atmosphère. Elle s'élevait à peut-être à deux kilomètres de hauteur.

Rendez-vous à la fin des tempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant