HUIT

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JAMES CARLETON ÉTAIT quelqu'un de patient. S'il y avait bien un domaine où on ne le battait jamais, c'était d'attendre. C'est ce qu'il faisait, assis sur les marches de la petite cabane qui s'élevait derrière lui et qui servait de chambre des officiers. Sur le sol dégarnit de verdure, des masses de poussières s'élevait à chaque brise. Ses grains venaient vous envahir le visage pour se cacher dans chacun de vos pores, et vous brûlaient les yeux. Au loin, on apercevait une colline qui cachait le soleil lorsque celui-ci surgissait de l'horizon. Cette bosse ne laissait pas profiter le camp de ses tous premiers rayons, mais il suffisait d'attendre quelques minutes pour vite apercevoir l'astre ardent qui s'élevait doucement au-dessus des têtes. Carleton avait les yeux dans le vague, à attendre que le soleil se lève et que sa lumière chasse l'obscurité qui recouvrait encore le petit bois. Le camion qui partait pour Calais avait pris la route il y a à présent une heure, et James était certain que le soldat Ryan ne faisait pas partie des personnes qui étaient à son bord. Ce gamin était beaucoup trop têtu pour écouter un ordre qui ne lui plaisait pas, même si c'était pour lui éviter la mort.

Quand on y pensait, Carleton n'était arrivé au camp seulement très peu de temps avant Ryan. Il avait juste beaucoup plus d'expérience, étant donné qu'il était déjà militaire. Ryan en revanche, n'était qu'un gosse complètement perdu. Comparé aux autres membres de son escouade qui étaient toujours attentifs et qui avaient tendance à apprendre les valeurs du soldat plutôt vite, Ryan était à la traîne, et semblait prendre son temps dans ce qu'était l'apprentissage d'un militaire. Pourtant, Carleton admirait le courage qu'avait cette personne : même si c'était le plus chétif, il n'hésitait pas à se défendre et à dire ce qu'il pensait. Normalement, ce trait de personnalité était considéré comme arrogant et désobéissant chez un soldat, mais le sergent voyait cela plus comme une qualité qu'un défaut. Après tout, c'est peut être son inconscience qui le sortira d'affaire lors d'une situation dangereuse. Ou pas.

C'est pour cela que James avait tellement insisté pour qu'il regagne Londres : ce serait dommage de sacrifier un esprit comme le sien, où sa place n'est malheureusement pas sur le champ de bataille. Un homme comme lui aurait été plus utile et plus heureux dans un endroit sans conflits. Il avait essayé de le protéger, mais Ryan avait fait son choix. James n'avait plus rien à lui demander, et si ce jeune soldat finissait mort et enterré, il ne pourrait pas lui dire qu'on ne l'avait pas prévenu.

Il avait aussi cet autre homme – Peter – qui avait pris Ryan sous son aile. Le sergent lui en était silencieusement reconnaissant, car c'était bien la seule et unique personne qui un cœur assez grand pour ne pas se préoccuper uniquement de lui-même.

James aurait bien aimé avoir un frère comme Peter. Lorsque cela lui vint à l'esprit, il grimaça, en faisant remonter des souvenirs douloureux à la surface. Ces genres de pensées étaient rares chez quelqu'un comme lui, mais il ne pouvait s'empêcher de ressasser des bribes de son passé, même si il essayait au mieux de les enterrer dans les plus profond recoins de sa mémoire. Le sergent avait eu un grand frère. Il avait trois ans de plus que lui, et n'hésitait jamais à utiliser sa force contre son cadet. Il s'appelait Harry, et il menait sur lui une véritable dictature : si James se rebellait ou ne faisait pas quelque chose qu'il lui ordonnait, il le frappait. C'est peut être justement grâce aux milliers de coups que son frère lui faisait endurait qu'il était devenu aussi résistant et qu'il avait été sélectionné pour intégrer l'armée. Au début, James pleurait, et utilisait ses sanglots comme seule arme contre Harry. En le voyant comme tel, sa mère prenait souvent sa défense, en faisant passer sermons et punitions sur son aîné. Celui-ci râlait beaucoup en traitant James de menteur, mais les sanctions ne semblaient pas vraiment marcher, puisque son grand frère n'a jamais arrêté. Puis, vint un temps où sa génitrice en a eu marre de ses plaintes, et décida d'ignorer complètement les embrouilles des deux garçons. Elle pensait que James était capable de se débrouiller tout seul, et que Harry n'était pas si terrible que cela. Il n'arrêtait pas, et certains jours, James faisait tout pour cacher les hématomes qui lui recouvraient le visage. Ses amis le questionnaient souvent en lui demandant si son père lui faisait du mal, et James avait fini par avouer que c'était son propre frère qui le traitait comme un véritable chien. Son enfance ne le rendait pas plus unique qu'il ne l'était, et il était bien au courant de ne pas être le seul homme qui était mal mené par un membre de sa famille. C'est fou comme toute cette haine qu'on porte contre la vie puisse se révéler utile sur un champ de bataille.

Les fesses toujours posées sur une des trois marches qui menaient à la petite maison de bois, le sergent réprima un soupir. Il fit glisser sa main droite dans la poche de sa veste, et en fit sortir un petit paquet de cigarettes. Avant de l'ouvrir, il le mit bien en place devant ses deux yeux, et passa de longues secondes à épier chaque défaut de la petite boîte en carton. Il s'agissait de clopes françaises, et à la surface du papier dur et sale, était inscrit en lettres bleues : « Vingt cigarettes de troupes ». Il caressait la matière rugueuse de son pouce, avant de se décider à en sortir une cigarette. Rien qu'une seule, se dit-il, alors qu'il porta le petit bâton de tabac à ses lèvres. Il fouilla son autre poche, et attrapa un petit briquet argenté. James ne fumait pas en temps normal, il lui arrivait d'allumer une cigarette rarement, lorsque le stress lui mangeait le ventre. Il avait piqué le paquet et le feu à un des officiers qui était encore assoupis, avant de venir se poser face au camp toujours endormi. En effet, il était nerveux. Le lever de soleil lui avait apporté le calme qu'il recherchait, mais le retour de ses souvenirs n'avaient fait que lui déranger l'esprit. On lui avait demandé d'emmener son escouade en mission de reconnaissance aujourd'hui, qui se traduisait par une balade de l'autre côté de la frontière française, en territoire ennemi. En temps normal, les missions de reconnaissance n'étaient pas ce qu'il y avait de pire, mais James était du genre à ne rien prendre à la légère, et ne pouvait contrôler la crainte qui s'emparait de tout son corps dès qu'on lui confiait une mission quelque peu dangereuse.

Il porta la flamme du briquet à ses lèvres, et aspira profondément pour donner naissance à la braise de la cigarette. Son goût était abominable et il le sentit passer dans toute sa gorge, mais dès qu'il sentit sa tête tourner et ses membres se relâcher, il ne put s'empêcher de sourire. La nicotine l'envahie progressivement, et James apprécia ce sentiment, malgré le fait qu'il savait très bien tout le mal qu'elle pouvait causer.

La trompette sonna, et presque immédiatement, le camp s'éveilla. Comme une immense fourmilière au travail, les soldats sortaient tous un à un de leurs dortoirs, le visage encore fatigué.

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—  enfant blessé lors des bombardements de Londres ; 1940

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— enfant blessé lors des bombardements de Londres ; 1940

Saving Private RyanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant