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Maman: bon tu fais bien attention à toi hein.
Moi: si mama
Maman: et tu manges hein ! Ton frère vérifiera de toute façon.
Moi: ho cappito.

(J'ai compris)
Elle me regarde les larmes aux yeux, je la prend dans mes bras.

Moi: tout ira bien maman, je vais faire attention. Je te promet.

Ma petite maman, si fragile et pourtant elle a survécu aux pires épreuves que la vie peut imposer. C'est une battante, une guerrière du quotidien. Oui je la vois comme ça, ma mère est une femme incroyable.

Moi: aller bisous maman, t'as d'autres patients à aller voir.

Je l'embrasse et sort de ma chambre d'hôpital. En passant par l'accueil je donne ma fiche de sortie et me dirige vers les arrêt de bus. Au moment de m'engager sur le passage piéton une voiture klaxonne, en tournant la tête je vois une vieille jeep CJ-5 bleu avec à son bord un jeune homme souriant comme un ange.

Moi: bien le bonjour monsieur Joncour, quel bon vent vous amène ?

Il ris et me fait signe de monter, ce que je fais. Je remarque seulement maintenant le chapelet suspendu au rétroviseur intérieur, je le décroche et fais rouler les petites perles de bois entre mes doigts. Il fut un temps où je récitais un chapelet tous les soirs avant de m'endormir, papa disait que ça éloignais les mauvais esprits. Papa...

Moi: On est-ce qu'on va ?

Il hausse les sourcils comme pour dire "surprise". De toute façon pourquoi je pose cette question ? Il ne peut pas même pas me répondre. C'est digue quand on y pense, je passe des journées entières avec lui sans qu'il me dise un seul mots, et pourtant pas une seule fois je me suis ennuyée.

Tout en regardant la route, il me désigne le chapelet d'une main.

Moi: tu veux que je récite un chapelet ?

Il hoche la tête. J'hésite un moment, ça fait presque 3ans que je n'en ai plus récité un seul. La mort de papa m'a tellement détaché de Dieu que je ne suis même pas sûre qu'il veuille encore de moi. Puis les paroles de l'abbé me reviennent en tête, papa fait un quelque sorte parti de Dieu maintenant. Un petit bout de Lui c'est mon papa, et lui il voudra toujours de moi.

Alors je récite, le Crédo, puis le Notre Père, les 3 Je Vous Salue Marie, le Gloire au Père suivie du Mon Bon Jésus et les 5 mystères lumineux chacun accompagné du Notre Père, des 10 Je Vous Salue Marie et du Gloire au Père et Mon Bon Jésus.

Inexplicablement, cette prière me fait du bien. Le temps d'un instant, je me sent vidée de la souffrance constante que m'inflige ma pauvre conscience, je me sent en paix avec moi-même. Quand je récite le dernier Gloire au Père, Isaac me sourit et me donne une signe de tête en remerciement.

Moi: merci à toi, merci pour tout.

Je m'apprêtais à suspendre le chapelet au rétroviseur quand Isaac me pris la main et la referma sur elle même. C'est un cadeau, il m'offre son chapelet. Oh il doit bien en avoir tout une collection chez lui, mais ce cadeau me touche énormément. Il m'offre avec ce chapelet toutes les prières qu'il a récité avec, il m'offre la paix et la sérénité que je n'ai plus eu depuis bien longtemps.

Il gare la voiture sur le parking de l'église de Duingt et nous marchons jusqu'au bord du lac. L'eau fraîche chatouille mes pieds nus, nos chaussures reposent un peu plus loin près du pique-nique.

Il a tous prévu, comme le soir de mon anniversaire. Six barquettes de sushis et une bouteille de rosé nous attende sur la nappe mais pour l'heure, nous profitons simplement du plaisir que nous procure le soleil illuminant la rive de reflets argentés. Il prend ma main dans la sienne et me regarde avec tendresse.

Moi: je t'aime Isaac.

Ces mots ne le surprennent pas, au contraire ils sonnent comme une évidence. Une vérité dont on avait conscience tous les deux depuis bien longtemps, sans pour autant le dire de vive voix. Il fait glisser sa main libre sur ma joue et approche ses lèvres des miennes. Une douce sensation de picotement me traverse le corps. Le contacte de ses lèvres me fait ressentir ce qu'est l'amour, le vrai. Il me fait prendre conscience que tous ce que j'ai pu vivre avant n'étais qu'illusion. L'amour et là, devant moi et en moi. Il nous habite et nous rassemble en ce baisé si doux qu'il en paraîtrait innocent. Comme des enfants.

Je plonge mon regard dans ses yeux verts, cette couleur si révélatrice de ce qu'il est pour moi. L'espoirs, celui que désormais tout ira bien. Car je suis en sécurité, je suis avec lui.

L'abbé De Bodard nous rejoint quelques temps après, vêtu de la soutane traditionnelle. Nous commençons à déguster notre festin après avoir récité le bénédicité. Entre deux bouchée de sushis nous discutons, Isaac participe à la conversation au moyen de ses petits post-it.

Abbé: connaissez vous la différence entre le fait d'être amoureux et d'aimer ?

Je pense savoir, la réponse semble venir d'elle même non ? Mais il y a certainement, dans ce qu'il s'apprête à dire, un enseignement que je ne connais pas. Je décide donc de ne rien répondre et de l'écouter.

Abbé: être amoureux, c'est facile. Cela ne demande aucun effort, on dis d'ailleurs "tomber amoureux", comme par accident. Ses sentiments nous tombent donc dessus, parfois au bon moment et avec la bonne personne, parfois non. Même un homme marié et très aimant de sa femme, ou un prête très sérieux et prenant à cœur son vieux de chasteté, peuvent tomber amoureux. Ça arrive, c'est pas si grave en fin de compte il suffit de faire le choix de taire ces sentiments naissants. Aimer, c'est la suite logique, la continuité de ce sentiment. Si on juge que la personne est la bonne et que le moment est le bon, on fait le choix, on prend l'engagement de l'aimer. Et ce n'est pas un engagement à prendre à la légère car là est l'effort, là est toute la difficulté d'aimer. On choisi de donner notre amour à cette personne. De lui donner de notre temps, de lui donner notre attention, de partager notre espace avec elle, de partager nos envies, nos ressentis, nos pensées. Aimer, c'est donner tous ce qui peut l'être et partager ce dont on a besoin aussi. Et ne rien garder pour soi.

Je viens de me prendre l'équivalent d'une gifle. Bizarrement j'ai comme une impression de déjà vu. Mais ce que dis l'abbé est vrai et juste, on ne joue pas avec les sentiments, on ne prend pas ces choses là à la légère. On ne peut pas éternellement tanguer entre les sentiments amoureux et le refus d'engagement. Pas comme je l'ai fait toute ma vie, pas comme je le fais actuellement avec Isaac.

Moi: et si on se trompe de personne ? Si au bout d'un moment après avoir fait le choix d'aller cette personne on se rend compte que c'est pas la bonne, c'est grave ?
L'abbé: oui, ça l'est. L'erreur est humaine, et rien n'est irrattrapable surtout avec l'aide du Tout Puissant. Ce qu'il faut savoir c'est que tous ce que l'on donne à une personne, quand on prend la responsabilité de l'aimer, on ne le récupère pas. Tout ce que vous avez offert à celui ou celle avec qui vous pensiez finir votre vie, ce sera ça de moins que vous pourrez donner à votre véritable futur mari ou femme. A force de relations à échec, il ne nous reste plus rien. Un homme qui a couché avec des dizaines de fille dans sa jeunesse y voit il une différence lorsqu'il fait l'amour à sa femme ? Si on prend l'amour à la légère on risque de tous perdre et de ne plus rien avoir à offrir, les échecs nous usent de l'intérieur sans qu'on ne s'en rende compte.

Je dois faire un choix. Aimer Isaac au risque de tout perdre, ou l'oublier au risque de perdre l'amour de ma vie. Je n'ai plus grand chose à donner, je me suis déjà tellement abîmée, si je me plante je n'aurais plus rien.

SérotonineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant