-Lucy Quinzel-

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Lucy Quinzel

Elle se regarda un instant dans le miroir, resserra ses deux couettes basses. Elle n'aimait définitivement pas cet uniforme, elle n'aimait pas la couleur, mais à force, elle a arrêté de s'en plaindre. Elle portait encore ce collier, ce ruban noir qui lui serrait la gorge, et auquel elle était tant attachée. Elle l'avait retrouvé dans un carton portant son nom, elle savait de qui il venait, et rien que pour cela, elle ne voulait pas le laisser quitter son cou, se laissant étrangler si cela devait finir ainsi.

<<-Lucy ?!>>

La lourde voix d'Edward parvint à ses oreilles. Elle se précipita alors près de la sortie, et se cacha en angle mort, entre la porte et l'armoire. Elle attendit patiemment que les pas de l'homme se fassent plus clairs, plus proches, qu'il pousse la poignée, et scrute l'intérieur de la pièce. Et alors, elle sortit de sa cachette d'un geste triomphal et s'époumona d'un glorieux « BOU! ». L'homme, lui, tenait soucieusement son cœur. Il reprenait un souffle qu'il jugeait régulier, et se remettait de cette frayeur. Lucy était heureuse, elle avait encore réussi à l'avoir. Mais quelque chose clochait. Le vieil Edward ne se releva pas. Il continuait de placarder sa main sur son poitrail et, bientôt, on aurait dit que ses lèvres s'étirèrent pour attraper quelques bouffées d'airs.

<<-Non ! Edward !>>

La jeune fille se précipita sur l'homme qui tombait à terre. Elle le serrait contre lui, et lui demandait conseil. Elle ne savait pas quoi faire, jamais elle n'a vu de crise cardiaque ! Oh !, bien sûr, elle avait vu des choses horribles, mais elle ne savait réagir à cette situation-là. Elle sentait le souffle de l'homme qui s'abattait contre sa nuque ralentir peu à peu, et son torse se soulever difficilement, elle en versa une larme. Edward était, pour elle, sa seule famille. Il l'avait élevée, depuis l'âge de dix ans, il était son tuteur, son père, son confident, son compagnon de jeu, et le surveillant le plus exemplaire et strict. Il était toutes ces personnes à la fois, un être unique à ces yeux. Elle en riait souvent, le désignant comme un métamorphe. Mais elle voyait, le plus souvent, en lui la figure paternelle qu'elle n'avait jamais eue. Elle avait aussi besoin d'une mère, mais finalement, elle appréciait plus que tout Edward, qui a su faire d'elle la fille qu'elle est aujourd'hui.

Et puis, soudain, plus rien. Elle pleurait dans le vide, jusqu'à ce qu'un son rauque sorte de la gorge de l'homme. Lucy sécha ses larmes et tapa furieusement dans le dos de l'homme. Elle se releva, le laissant se fendre la poire sur le parquet de la chambre. Elle revint à petits pas vers la commode et retira les traces de maquillage qui saccageaient son visage. Elle rajusta une dernière fois ses lèvres rouges. Elle aimait les teintées de rouge. Parce que, la dernière image qu'elle a d'elle, encore bien portante, elle portait du rouge sur ses lèvres. Sur ses douces lèvres qui embrassaient son front le soir et qui se mouvaient dans une berceuse. Mais ces souvenirs étaient lointains, et elle ne voulait plus trop s'y attacher.

<<-C'est moi qui vous ai eus, cette fois-ci, rappela Edward en se relevant.>>

Lucy aimait faire des farces, effrayer les autres, elle aimait rire, tout simplement. Elle aimait sourire. Elle aimait les blagues, les farces, les coups en douces. Elle aimait tôt le matin se faufiler sous le lit d'Edward et, plus tard, à son réveil, lui agripper la cheville. Ou bien rendre visite de temps à autre à Damian. La route n'était pas bien longue jusqu'au manoir Wayne, et elle aimait la nuit, les étoiles qui dansaient autour d'elle, et qui lui offraient leur magnifique spectacle. Quelque chose de singulier, un moment rien qu'à elle, et à ses pensées. Ses pensées, si souvent chamboulées, désordonnées. Elle l'entendait, des fois. Elle l'incitait à commettre des petites choses sans importance, et lui parlait. Dans sa tête, elle pouvait lui répondre, et l'entendre. Une amie, singulière elle aussi, rien qu'à elle. Mais pas une vraie amie, pas une amie réelle, faite d'os et de chair, simplement une voix guillerette qui l'accompagne. Et jamais elle ne lui accordera plus d'importance, elle se l'était promise.

<<-On va y aller, mademoiselle. Votre sac est déjà dans la voiture.>>

Elle acquiesça, souriante, reposant le bâton de maquillage sur la commode. Et, tout en sortant de la grande maison, elle referma la veste de son costume, les deux boutons qui le maintenaient étroitement clos. Edward lui ouvrit d'un geste galant la portière passager, et elle s'installa sur la banquette arrière, son sac à ses côtés. Et rapidement, le décor sinistre de la ville fuit à grande vitesse devant les vitres Elle torturait un pan de sa jupe entre ses doigts fins et pâles. Elle avait hâte d'y retourner, d'y revoir ses amis, de reprendre leurs soirées à leur nouveau repaire et de s'amuser. Et, bien sûr, à la fin de l'année, recevoir son diplôme. Mais elle y pensait peu, elle préférait s'attarder sur les bons souvenirs qu'elle partageait avec ses amis, ses chers amis.

Le trajet fut d'un calme plat. Le moteur comblait le long silence. Edward parlait rarement quand il roulait, trop absorbé par la route qu'il prenait. Il s'arrêta sur le bord de la chaussée.

<<-Bonne rentrée.

-Merci, Edward. A ce soir.>>

Et elle sortit. Ses petites chaussures rouges talonnées claquaient gaiement sur le bitume froid. Le vent se levait lentement, un mois de septembre qui annonçait déjà l'automne, prévenait l'hiver. Le feuillage qui habillait les arbres de la cour devant l'établissement était encore d'un beau vert vif, et bientôt, il ternira jusqu'au jaune, avant de mourir sur le macadam du trottoir. Un filet blond passa devant ses yeux, soulevé par le vent, chatouillant ses joues rougies et le bout de son nez froid. Elle dégagea les mèches de cheveux d'une main et, empoignant l'anse de son sac, s'avança vers le hall du bâtiment.

Elle savait qu'au bout de ce couloir, elle le verrait. Sa mâchoire carrée, ses traits masculins, ses yeux sombres comme deux charbons, ses cheveux d'ébènes soigneusement coiffés, et son costume parfait. Il était toujours le premier, elle était toujours la deuxième, et les autres les rejoignaient les uns après les autres.

C'était toujours ainsi. 

Les enfants de Gotham -Tome 1 : La Relève-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant