-Lylle Dent-

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Le jeune homme était au rebord de la fenêtre, scrutant les rues sombres de Gotham. Le soleil se leva lentement sur la ville. C'était rare, le soleil était si peu présent, si souvent caché par ces maudits nuages gris. Lui, il était debout depuis longtemps. Combien de temps ? Il ne savait pas précisément, il savait juste que, comme chaque matin, il ne trouvait plus le sommeil alors qu'il faisait encore nuit dehors et qu'il n'en pouvait plus d'être allongé sur ce vieux matelas. Alors, il s'était levé, s'était servi un café et le laissa bruler ses lèvres, puis sa gorge. Puis, il avait laissé son souffle balayer la vitre et former une buée difforme sur le verre, jusqu'à ce qu'il puisse voir ce spectacle qu'il s'offrait chaque matin. Toujours la même chose, la même routine. Il en était fatigué. Il se décida à retirer ce vieux jogging pour enfiler son costume. Une veste bleue marine, un pantalon beige, une chemise blanche, une cravate, un sigle. Rien de plus. Il ne prit pas la peine de se parfumer, ni de se coiffer, il s'était simplement lavé et brossé les dents. Un minimum. Il avait le temps, mais pas l'envie. Il ne voulait juste pas. Il vivait seul dans cet appartement depuis longtemps, une pièce unique qu'il séparait en salle de bain, cuisine, salon et chambre. Et ça lui suffisait, il ne voulait pas plus. Il n'en avait pas besoin. Il est le fils d'un ancien grand procureur, reconnu de tous, un homme bon qui servait glorieusement la justice, et qui perdit, peu de temps avant sa naissance, la boule. Il était devenu fou, et tristement connu, plus qu'il ne l'était déjà. Sa mère, elle, l'avait abandonné à ses dix ans. Triste destin pour un si jeune garçon. Il se souvenait encore d'elle, de son sourire d'ange, de ses yeux d'aciers, et de sa chevelure blonde. Il lui ressemblait beaucoup, plus qu'à son père. Et il préférait cela. Il n'aurait pas supporter de voir son sosie chaque matin dans le miroir. Et parfois, cela lui faisait du bien d'énumérer les différences entre cet homme et lui, pour se convaincre qu'il n'était pas le même, qu'il ne deviendra pas le même. Au fond, en était-il vraiment sûr ? Il préférait oublier la question. Il ouvrit grand la fenêtre, et s'y accouda. Il se laissait bercer par la musique de la ville, les sirènes des voitures de flics, les alarmes du poste de police, le réveil de la populace. Une sonorité qui rendait bien à son oreille, qu'il appréciait. Un rien qui lui prouvait que dehors, malgré sa, la vie continue, qu'elle avance, et qu'il n'avait qu'à se laisser porter par le courant et suivre la cadence.

Il scrutait depuis maintenant dix minutes l'horloge sur le mur d'en face. Il avait enregistré chaque tic de l'aiguille des secondes, chaque tac de l'aiguille des minutes, et chaque léger mouvement qu'il croyait apercevoir de celle des heures. Puis, il fut l'heure tant attendu. Il attrapa alors son sac, le lança négligemment sur son épaule, et sortit. Il prit le soin de fermer la porte à clefs derrière lui, et dévala les marches deux à deux. Ses pas résonnaient en écho dans la vieille cage d'escalier. Puis, il sortit de l'appartement. Le vent froid de Gotham le frappa premièrement, bien qu'il en ait eu un avant-goût en ouvrant la fenêtre plus tôt. Il se laissa alors refroidir par les terribles bourrasques qui s'infiltrait sans gêne sous ses vêtements. Il s'adossa contre une poutre en béton, sur le palier de l'immeuble, et son regard plongea dans le vide, le néant. Il scrutait sans conviction ce qui se trouvait devant lui, se laissant divaguer. Il sortit de sa poche un briquet qui rendait bientôt l'âme, et une cigarette. A l'aide de sa main, il obligea la flamme à lécher le bord de la clope avant qu'il ne la porte à ses lèvres. Il tira une première taf. La fumée descendit lentement le long de sa gorge, et cela le détendit. Il ne savait pourquoi, il aimait fumer. Il aimait la gestuelle, devenue une habitude, un geste quotidien pour lui, et l'effet que cela avait sur lui. Un souffle, une inexistence, une plénitude, et le vent qui le ramenait petit à petit sur terre. Une seconde taf, et c'était reparti. Il se demandait alors « a-t-il seulement idée que j'existe, un soupçon sur mon existence, une info sur ma personne ? ». La réponse était encore inaccessible, et c'était trop dur de vouloir la chercher au fond de soi, de ressasser les souvenirs qu'il avait si péniblement enterrés. Alors, il passa à autre chose, balaya cette idée de son esprit, et reprit une taf.

Soudain, on le retira de ses pensées. On agrippa sa belle cigarette qu'il avait à peine entamée, on la jeta vulgairement sur le sol, et on l'écrasa furieusement malgré ses protestations. Il reconnut le petit pied habillé de noir. Il remonta le long de la silhouette, et reconnut la silhouette. Sa peau pâle, ses très élégants, ses émeraudes au centre de son visage, ses fines lèvres roses, et sa chevelure de feu, soigneusement coiffée et soyeuse.

<<-Bien le bonjour à toi, Priscilla, rétorqua-t-il avec mépris, oui je vais bien, merci de demander, et toi ?

-Mieux, répondit cette dernière dans un sourire.>>

Il n'aimait pas quand elle lui souriait ainsi, de cet air narquois, mais il n'était pas d'humeur à se battre, il était encore trop tôt. Il lui sourit faussement à son tour, et prirent tout deux le chemin de l'école. Finalement, il jugea bon de l'avoir à ses côtés, il préférait sa compagnie que sa triste solitude et ses pensées tortueuses. 




Les enfants de Gotham -Tome 1 : La Relève-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant