Chapitre 39

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Son destin venait de mener Louis sur un chemin cruel, un chemin qu'il ne pourrait jamais quitter : les dommages étaient irréversibles. Incapable de gérer le contrecoup des trois chocs successifs qu'il venait de subir, il laissa sa souffrance le submerger et se mura dans un silence absolu.

Il aurait voulu se réfugier dans sa chambre, sombrer dans un profond sommeil et ne plus jamais se réveiller mais, au lieu de cela, il était assis sur le sofa du salon, le corps rigide, et fixait le mur avec des yeux éteints. Il entendit un bruit étouffé quelque part dans la pièce qui lui déplut instinctivement. Lentement, il tourna la tête, cherchant à en identifier la source, et vit Gabriel qui pleurait. Pourquoi Gabriel pleurait-il ? Il ne parvenait pas à s'en souvenir. Il ferma les yeux et secoua la tête, espérant du plus profond de son cœur que lorsqu'il les rouvrirait, le cauchemar serait terminé.

« Louis ! Dis-moi que ce n'est pas vrai ! »

Il avait entendu Gabriel et pourtant ne réagit pas, car son cerveau était incapable d'assimiler ses propos. Il avait besoin de calme, de se retrouver seul. Il se leva et quitta le salon malgré les protestations de Gabriel qui lui parvenaient étouffées, comme provenant de très loin. Marchant au hasard, ses pas le menèrent dans le vaste jardin, où il s'arrêta et regarda le ciel couvert. Quelques secondes après, un faible crachin perçait les nuages. Il devrait installer une balançoire pour ses petites sœurs, cela leur ferait sûrement plaisir. Louis laissa échapper un sanglot déchirant. En deux jours, sa vie avait volé en éclats et il méritait tous les malheurs qui venaient de s'abattre sur lui. Il aurait dû se comporter plus prudemment, mieux choisir ses amis. Au moins, pour son père, il n'était pas entièrement fautif.

La veille encore, il était si heureux et serein dans les bras de Gabriel qu'il regrettait amèrement d'avoir répondu à l'appel de sa mère. Elle lui avait annoncé que son père, l'homme qui l'avait abandonné et avec qui il avait noué si peu de liens, venait de se suicider. Il n'aurait pas dû être affecté par cette nouvelle, après tout cet homme n'était qu'un étranger à ses yeux. Et pourtant, lorsqu'il avait raccroché, la douleur dans sa poitrine l'avait fait suffoquer. Il n'avait jamais souhaité reprendre contact avec son père, même si celui-ci avait essayé à plusieurs reprises de se rapprocher de lui. Louis l'avait tout bonnement ignoré, persuadé que l'homme n'en voulait qu'à son argent. La preuve, il n'avait jamais essayé de joindre son fils avant qu'il n'apparaisse dans 'Rising Star'. Pour Louis, son père n'était qu'un opportuniste. Mais à présent, il ne saurait jamais s'il avait raison ou tort. Une larme coula sur sa joue : il aurait dû faire quelque chose, l'aider au lieu de le repousser. Il se sentait horriblement coupable, peut-être que s'il avait juste pris la peine de l'appeler...

Le crachin se transforma rapidement en une violente averse et un frisson parcourut son dos, mais, se sentant complètement vide et épuisé, il ne chercha pas à s'en abriter et resta figé sur place. Il se remémora le bon temps avec ses amis et la douleur qu'il ressentit lui coupa le souffle. Il avait confiance en eux et ils l'avaient trahi. Il ne s'était douté de rien et se haïssait d'avoir été aussi aveugle. Lorsqu'il avait appelé la plus âgée de ses sœurs, celle qui avait le plus de souvenirs de leur père, afin de s'assurer qu'elle allait bien, elle avait changé rapidement de sujet. Elle lui avait expliqué que de nombreuses mineures avaient laissé des messages privés anonymes sur son blog. Les jeunes filles prétendaient que les amis de Louis les avaient soudoyées durant les concerts, leur promettant qu'elles rencontreraient les membres du groupe en échange de faveurs sexuelles. Convaincues qu'elles n'auraient jamais d'autre opportunité de rencontrer leurs idoles, elles avaient accepté. Malheureusement, aucune n'avait vu son rêve exaucé, même après avoir respecté sa part du marché. La sœur de Louis avait cru au début qu'il ne s'agissait que de mensonges sordides, mais la description des amis de Louis, les dates et les lieux concordaient et donnaient de la crédibilité à leurs propos. À la lumière de ces révélations, Louis n'avait pas perdu une minute et avait appelé ses amis pour connaître leur version des faits. Il avait été anéanti quand la plupart d'entre eux avaient avoué, même s'ils assuraient ne pas s'être doutés que les jeunes filles étaient mineures car elles paraissaient beaucoup plus âgées. Comment avaient-ils osé ? Alors qu'il avait toujours pris soin d'eux ? Si l'histoire sortait dans les médias, ce serait la fin du groupe, et non à cause des garçons mais de ses stupides amis. La vision de Louis se brouilla et il s'allongea dans l'herbe humide en fermant les yeux, sans se préoccuper de la boue, de la pluie et du froid qui le faisait grelotter.

En appelant Charles ce matin afin de lui expliquer la situation, il n'imaginait pas un instant que la situation pouvait encore empirer. Avant même que Louis n'ouvre la bouche, Charles l'avait félicité d'être père sur un ton sarcastique. Louis avait failli éclater de rire à cette mauvaise plaisanterie, avant de réaliser soudain que Charles n'avait aucun sens de l'humour. Sans attendre sa réponse, Charles lui expliqua qu'un mannequin avec qui il avait couché avait contacté Talent et affirmait que Louis était le père de son enfant, tout juste âgé d'un mois. Pour Charles, cette jeune fille était une croqueuse de diamants qui l'avait délibérément piégé. Louis se souvenait parfaitement de cette fille rencontrée à Miami, les dates coïncidaient, et, vu l'état pitoyable dans lequel il se trouvait quotidiennement, toujours sous l'emprise de l'alcool ou de la drogue, il ne s'était pas souvent protégé. De toute façon, il pensait naïvement qu'elle prenait la pilule, une grossesse aurait compromis sa carrière de mannequin.

La bile remontait dans sa gorge, il avait envie de vomir, mais une caresse sur sa main lui fit rouvrir les yeux. Gabriel était à ses côtés.

« Louis, s'il te plaît, dis quelque chose, » souffla-t-il d'une voix désespérée, des gouttes de pluie ruisselant de ses cheveux.

Louis resta muet, incapable de rencontrer le regard de son partenaire. Gabriel lui saisit les bras et le força à se relever. Les jambes de Louis flageolaient ; il n'avait rien ingurgité depuis la veille et se sentait faible. Louis sentit son corps être soulevé du sol puis la chaleur du torse de Gabriel contre sa joue. Gabriel le porta jusqu'à leur chambre et le déposa délicatement sur le lit. Sans un mot, il lui retira ses vêtements mouillés. Louis songea que Gabriel était un ange, contrairement à lui. Les pensées de son père, de sa paternité, de ses amis et de la peine qu'il causait une fois de plus à Gabriel le submergèrent. Il aurait voulu mourir.

L'espoir pour Gabriel d'un avenir paisible avec Louis venait d'être balayé pour de bon et de le voir dans un tel état raviva toutes ses angoisses et ses peurs. Louis ne quitta pas son lit deux jours d'affilée et refusa de manger. Gabriel ne savait plus quoi faire pour le consoler et l'amener à parler de nouveau. Louis le repoussait en criant à chaque fois qu'il mettait un pied dans leur chambre, et il dut s'installer dans l'une des chambres d'amis. Que Louis rejette son aide lui brisait le cœur. Gabriel errait dans la maison tel un zombie, en proie à des idées dépressives, et il ingéra à plusieurs reprises des calmants pour atténuer sa peine.

Charles annula les premières interviews prévues pour la promotion de leur nouvel album, dans la mesure où ni Louis ni Gabriel n'étaient en état de les assurer. Charles prévint néanmoins Gabriel qu'ils devaient être prêts d'ici trois jours, et suggéra qu'ils prennent des drogues ou des médicaments si cela pouvait les aider à sourire devant les caméras.

Gabriel n'avait constaté aucune amélioration chez Louis, et lui-même n'allait pas mieux, surtout après que les amis de Louis aient osé l'appeler. Gabriel leur ordonna de ne plus jamais les contacter. Ils avaient de la chance de ne pas se trouver devant lui ou bien il serait devenu violent.

Il gardait l'espoir que l'enfant ne soit pas de Louis, mais dès lors que celui-ci restait confiné dans sa chambre, il n'y avait aucun moyen de le vérifier. Gabriel était sur le point de craquer, il avait besoin d'aide avant de devenir fou. Il appela sa mère et celle de Louis et les supplia de venir passer le week-end avec eux.

Elles arrivèrent dans la soirée. Aussitôt qu'il ouvrit la porte et vit leurs visages inquiets, Gabriel se sentit un peu mieux. La mère de Louis se dépêcha de le rejoindre dans sa chambre tandis que Mme Spencer prenait son fils dans ses bras. Gabriel libéra ses larmes, se soulageant de la peine qu'il éprouvait depuis quatre jours.


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