Chapitre 41

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Pour des raisons à la fois de logistique et de sécurité, Charles décida que les garçons allaient donner cette fois-ci toutes les interviews prévues pour la sortie de leur quatrième album dans un endroit inconnu du public. À chacun de leurs passages, les locaux des stations de radio, des journaux et des magazines se retrouvaient assiégés par une marée de fans déchaînés et Charles ne souhaitait pas stresser davantage les garçons.

Avant de rejoindre le reste du groupe pour cette journée marathon d'interviews, Louis et Gabriel firent un détour par une clinique privée. Pour s'assurer que le personnel médical de l'établissement ne vendrait pas la mèche, Charles, toujours précautionneux, avait fait signer à l'avance un contrat de confidentialité à toute personne qui allait se retrouver en contact avec Louis. Passant par la porte arrière de l'établissement, Louis et Gabriel furent guidés rapidement dans une chambre. Une infirmière les attendait déjà et Louis l'observa, la mort dans l'âme, prendre son sang. Les résultats du test de paternité n'allaient pas prendre longtemps, quatre jours tout au plus, mais Louis était frustré de ne pas connaître la vérité immédiatement.

Sur le chemin du studio, ses pensées se tournèrent malgré lui vers son père et ses amis et son cœur s'affola dans sa poitrine. Il se mit à rechercher frénétiquement dans ses poches une tablette d'anxiolytiques et en avala un comprimé pour l'aider à faire face aux caméras sous le regard préoccupé de Gabriel.

Les garçons ne s'étaient pas encore remis de la trahison de leurs amis et gardes du corps, et, durant le week-end, ils s'étaient enivrés jusqu'à oublier leur nom. Résultat, ils avaient une mine épouvantable ce matin-là et leur maquilleuse dut faire des miracles pour leur redonner une apparence plus saine.

Lors de la première interview, Oliver et William répondirent à toutes les questions tandis que Gabriel, Louis et Alex restaient muets. Alex avait fait la fête jusqu'à l'aube, l'alcool coulait toujours dans son sang et il se sentait nauséeux ; l'esprit de Louis se trouvait à des années-lumière de là et Gabriel ne pouvait ôter l'inquiétude de son visage. Charles interrompit l'interview et prit les trois trouble-fêtes à part pour leur faire des remontrances. Après cela, Gabriel et Alex firent des efforts pour se montrer plus loquaces mais Louis en était toujours incapable, il se sentait complètement vide et épuisé. Gabriel avait exigé d'être assis sur un tabouret à côté de lui, derrière le canapé où s'installeraient Alex, William et Oliver, et Charles avait accepté, espérant que sa proximité pourrait en effet aider Louis à aller mieux. Gabriel lui tint fermement et discrètement la main durant les interviews, son geste dissimulé aux caméras par le canapé.

Les journalistes se demandèrent néanmoins pourquoi le bruyant et pétulant Louis était si silencieux. Au prix d'un effort surhumain, Louis réussit à expliquer d'une voix faible qu'il avait attrapé une gastro-entérite et ne se sentait donc pas dans une forme olympique. Entre chaque interview, il fonçait s'enfermer aux toilettes. Il en ressortait toujours avec les yeux rougis et sa maquilleuse l'attendait devant, prête à cacher les traces de ses larmes avant que quelqu'un ne les voit.

Mais à un moment, les garçons, ayant remarqué que Louis n'allait visiblement pas bien, partirent à sa recherche, laissant Gabriel, en proie aux avances d'une journaliste, faire diversion. Ils ne mirent pas longtemps à trouver Louis qui s'était une fois de plus refugié dans les toilettes. Oliver se dirigea vers la seule porte fermée et toqua au battant.

« Louis, ça va ? » demanda-t-il avec anxiété.

Les garçons entendirent un reniflement, puis plus rien, comme si Louis essayait sans grand succès de se rendre invisible.

« Louis ? » insista William.

La petite voix de Louis brisa finalement le silence. « Oui, ça va. »

Les garçons échangèrent un regard dubitatif et Alex prit la parole : « Arrête tes salades Louis, on a bien vu que tu pleurais. Je ne pense pas que tu sois vraiment malade, c'est à cause de tes amis, c'est ça ? Tu sais, on est tous dans la même situation et nous aussi ça nous a fait du mal. On est là si tu veux en parler. »

Quelques secondes passèrent puis le bruit du loquet se fit entendre et Louis ouvrit la porte. Son teint livide alarma les garçons. Il n'avait pas prévu de vider son sac, mais il ne voulait pas leur cacher des choses et leur soutien lui était vital. « Ok. » Il baissa les yeux en glissant ses mains dans ses poches et murmura : « Mon père vient de se suicider et je me sens responsable. »

« Mince, je suis désolé, » lâcha William, et il s'avança pour serrer vigoureusement Louis dans ses bras.

« Je suis désolé aussi, » ajouta Oliver.

« Tu n'as pas à te sentir responsable, il t'a abandonné et tu ne lui devais rien, » déclara Alex abruptement.

« J'aurais peut-être dû faire quelque chose pour l'aider,» murmura-t-il d'une petite voix.

Alex regretta immédiatement ses mots durs. Il fit un pas vers Louis  et l'enroula dans ses bras pour se faire pardonner.

« Il y a aussi autre chose qui me préoccupe, mais j'ai besoin d'en être sûr avant de vous en parler. »

« C'est grave ? » s'enquit William.

« Oui et non. »

Soudain, la porte des toilettes s'ouvrit en grand et Charles apparut dans l'embrasure : « Vous n'avez pas bientôt fini de discuter ? Vous n'êtes pas au salon de thé ! Tout le monde vous attend, je vous signale. Allez, dépêchez-vous. »

****

Avec une joie non dissimulée, les garçons se levèrent d'un bond dès que la dernière interview fut terminée, mais Charles leur rappela que le même planning les attendait le lendemain, ce qui les démoralisa aussitôt.

Mmes Thompson et Spencer n'avaient pas quitté le domicile de Louis et Gabriel et ils purent sentir à leur arrivée la délicieuse odeur de Shepherd pie émanant du four. Ils s'installèrent autour de la table et racontèrent leur journée, Gabriel assurant la majorité de la conversation. Le repas fut ensuite servi et Louis tritura machinalement la nourriture avec sa fourchette au lieu de l'avaler, le nœud dans son estomac lui coupant tout appétit. Il regarda Gabriel et la douleur le saisit. Il n'était pas prêt à être père. Il n'avait que 23 ans, n'était pas assez solide pour assumer cette responsabilité, ne voyait pas comment il pourrait trouver le temps de s'occuper d'un enfant, mais ce qui le dévastait le plus était l'idée qu'il allait être lié toute sa vie à une personne qui n'en voulait qu'à son argent. Ce n'était pas du tout l'image qu'il s'était projeté de la famille idéale, la sienne incluait Gabriel. Ni l'un ni l'autre n'avait abordé le sujet et Louis était conscient que cette situation ne pourrait avoir une fin heureuse : s'il était effectivement le père, leur relation se terminerait. Il lâcha ses couverts, s'excusa brusquement et remonta dans sa chambre avant de s'effondrer devant les autres.

Le lendemain, ils recommencèrent leur fastidieux enchaînement d'interviews. La configuration était cette fois-ci différente. Gabriel était placé juste à côté du journaliste et il lui était très difficile de prétendre que tout allait bien. Oliver et William étaient assis près de Gabriel et Louis et Alex derrière. Comme d'habitude, Alex et William firent la plus grosse part du travail, mais Charles semblait satisfait. Louis était toujours absent, répondant avec peine aux questions et fixant le sol la plupart du temps. Il rejouait dans sa tête les moments merveilleux qu'il avait partagés avec Gabriel et imaginait une vie différente, une vie où il ne ferait pas partie du groupe, une vie où personne ne le trahirait et ne lui ferait de mal, une vie où il pourrait être ouvertement avec Gabriel, une vie où il pourrait avoir la famille qu'il avait choisie. Il serra les poings, il devait arrêter de se torturer.

Le soir, ils donnèrent une représentation sur le plateau de 'Rising Star'. Aucun d'entre eux ne voulait voir Andrew, mais comme il était encore juge dans l'émission, ils le croisèrent et durent se montrer polis. Andrew se montra comme à son habitude beaucoup trop enthousiaste en les couvrant de compliments. Il ne mentionna pas le problème causé par leurs amis. Gabriel était certain qu'il était au courant mais ne s'en souciait pas. Il lui décocha son regard le plus noir pendant tout son discours.

Avant de monter sur scène, ils réussirent à cacher leur trouble et firent de leur mieux pour donner une impeccable performance. Les spectateurs la saluèrent par un tonnerre d'applaudissements ; ils avaient réussi, même Louis qui n'avait rien laissé paraître. Il refusait que le public se rende compte à quel point il était au bord du gouffre.

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