12. Contrôle

65 16 0
                                    


Pendant notre heure de permanence, comme à notre habitude, nous sommes tous allés au foyer. Après avoir déposé ma petite veste sur un des fauteuils usé et troué par les élèves, je me précipite sur le baby-foot, suivie par d'autres. En attrapant la poignée, je crie, victorieuse, à l'intention de mon partenaire potentiel:

- C'est moi en attaque! 

- Tu fait chier, se plaint Mathias en riant.

Je lui fait une grimace, impatiente de jouer. Je ne suis pas super douée à ce jeu, mais j'adore y participer. Fabien et Agathe s'installent en face de nous, et Fabien lance la balle au milieu. Marine, elle tire une chaise et se positionne à notre droite. Généralement, nos parties se déroulent de manière assez vive, la balle valse à l'autre bout de la pièce, et nous faisons rugir les pièces de métal qui mériteraient grandement d'être graissées.

Les autres personnes de la classes, elles, se sont attroupés devant le billard, et parfois, un "Oh!" d'exclamation surgit de la masse. Juste derrière, quelques personnes que je ne connaît pas on pris d'assaut la table de ping-pong, et rien qu'en les observant, je grimace. J'ai horreur de ce pseudo-sport. 

Comme à chaque fois, je me donne à fond, mais même si j'ai remarqué une nette amélioration dans la la vie quotidienne, mes nouveaux sens ne semblent pas m'aider à mieux jouer. Voyant que nous perdons, Fabien en profite:

- Celui qui perd, il passe en dessous, il s'esclaffe.

- Hors de question, je soutient son regard.

Je me concentre de plus en plus. Je ne comprend pas vraiment pourquoi, mais cette fois-ci, perdre m'es impensable. Des bouffées d'adrénaline m'envahissent, et je serre plus fort les poignées. Mes ongles s'enfoncent dans mes paumes, jusqu'au sang.

La balle part, rebondit contre les parois de bois, mais le bruit est couvert pas le brouhaha ambiant. Un sourire vainqueur se dessine sur mes lèvres lorsque, enfin, nous marquons un but. Tout à coup, la boule de liège gicle et vole à travers la pièce, passant à ras du nez d'une fille à l'air renfrogné. Nous éclatons de rire. Fabien crie un désolé, alors qu'Agathe court après la balle qui semble déterminée à atteindre le dessous du placard avant que quiconque ne la touche. La fille se lève et élève la voix, à propos du "travail" et du "respect". Puis elle quitte le foyer accompagnée de son amie.

Dès que Agathe relance la balle, nous marquons. L'excitation et l'adrénaline ne font qu'augmenter. Je tape dans la main de mon coéquipier, et Marine nous interromps, en tapotant de sa main mon épaule;

- Euh, il faut que j'aille aux toilettes, tu m'accompagnes?

Je fronce les sourcils et secoue la tête. Nous avons enfin marqué, et elle veux que j'abandonne? Pas question. Elle se gratte la nuque et insiste, écarquillant les yeux, puis voyant que je suis toujours réticente, m'attrape par le bras et me traîne à l'extérieur. Je soupire, levant les yeux au ciel. J'espère sincèrement qu'elle a une bonne raison de me priver de ma potentielle victoire.

Elle se retourne et me fixe, comme si j'avais fait une bêtise. La jeune fille croise les bras sur sa poitrine, l'air accusateur.

- Quoi? Je marmonne.

Marine me tend son portable, de manière à ce que je puisse voir mon reflet sur l'écran tactile.

Et je m'aperçois que ce ne sont plus mes yeux qui m'observent. L'un est rouge, l'autre noir, comme l'autre soir. Surprise, je recule d'un pas jusqu'à atteindre la rambarde de l'escalier. La petite cicatrice creuse et noircie par le liquide qui s'était écoulé de ma pupille est de nouveau presque visible. Je passe mon doigt sur le petit sillon sombre, puis ferme les yeux. Un frisson d'effroi me parcourt, et je suis incapable de dire pourquoi. Je n'ai rien senti, rien remarqué... si j'avais pris ma forme animale sous leurs yeux... Pourtant, certains signes ne trompent pas; je me suis entaillé la main.

Sul'Een T1: Les Sanglots De L' ÂmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant