34.La glace brisée

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Je me réveille en sursaut. J'ai encore fait un cauchemar, le même que depuis quelques jours. J'assiste à la mort de centaines de personnes, et je ne peux rien faire. Tout brûle, des gens crient, d'autres s'effondrent.

Je souffle. Il n'y a plus personne dans la chambre, et le jour est déjà bien entamé. Malgré mon mauvais rêve, j'ai plutôt bien dormi. Je me sens en forme et prête à reprendre la route. Le silence règne, et je constate que je suis donc la seule dans toute notre location. Les gargouillements intempestifs de mon estomac me signalent qu'il est temps de se lever. J'ouvre la fenêtre histoire d'avoir un peu d'air frais dans la pièce, et file aller récupérer mes vêtements. Je ne suis pas spécialement à l'aise dans le pull qui me sert de robe.

Je pousse la porte d'un simple mouvement du poignet avant de le regretter immédiatement, et elle s'effondre dans un fracas inouï. J'avais totalement oublié que Feii l'avait arrachée de son support.

Un cri de douleur se fait entendre.

- Désolée, je ne savais pas que tu étais là, je m'excuse platement.

Veenyr lève les yeux au ciel en redressant le morceau de bois contre la cloison. J'en profite pour me faufiler dans la salle d'eau et attraper mes habits.

- Tu sais où sont les autres?

- Aucune idée. Ils ne vont pas trop tarder, je pense. Il s'est passé quoi avec la porte? Et pourquoi le miroir a disparu?

Je pouffe légèrement. Il devait dormir très profondément pour ne rien avoir entendu. C'est sûr que hier, la situation était loin d'être drôle, mais quand je regarde les dégâts, ça me fait sourire.

- C'est Feii, il l'a enfoncée parce que Marine ne voulait pas lui ouvrir...

Je ramasse un énorme bout de verre, qui a sûrement dû m'échapper hier et le jette dans la baignoire. En me redressant, je m'attarde sur les plaies encore ouvertes de Veenyr. Sa peau se déchire à chaque inspiration, laissant apparaître sa chair rougie. L'encre noire d'un tatouage s'enroule autour des deux déchirures parfaitement parallèles, les rendant presque agréables à regarder.

Je frissonne en imaginant la douleur que ce genre de blessure doit engendrer. Comment sa chair a pu se fendre en deux aussi facilement? Il faudrait déchirer les muscles, les tendons et les vaisseaux sanguins, mais il ne tiendrait plus debout. Les ouvertures donnent en plus accès aux micro-organismes, ce qui pourrait provoquer une terrible infection si ça ne se refermait pas.

Je pose mon doigt juste à côté, et trace une ligne semblable sans y toucher. Une douce chaleur se répand dans mon organisme, alors que je suis les courbes que tracent les marques dans une langue que je connais à peine. À ce contact, il frémit mais ne dit rien.

- A quel point est-ce que c'est douloureux? Je me risque à l'interroger.

- Au début, c'est très difficile, mais après, on s'y habitue.

Je m'assois sur le rebord de la baignoire, en étendant mes jambes pour les étirer, et il me rejoint.

- Mes transformations me demandent une maîtrise totale de mon corps, ou je pourrais finir en morceau. Je me suis beaucoup entraîné, mais ce n'est pas encore parfait.

Je hoche la tête, compréhensive. Finalement, il faut croire que ma métamorphose n'est pas si compliquée que ça. Je suis un peu soulagée, même si je me sens extrêmement mal pour Veenyr. J'ai toujours eu cette étrange capacité de reporter la douleur des autres sur moi, et c'est tout sauf un avantage. Si bien que maintenant, J'ai presque l'impression d'avoir été poignardée au niveau des omoplates.

Sul'Een T1: Les Sanglots De L' ÂmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant