Prologue

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Aux amours qu'on laisse passer

Pour protéger d'autres amours


Août 2016

Il était presque deux heures du matin, et Sarah n'était toujours pas rentrée. Valentin commençait à s'inquiéter. En partant, elle avait dit « je prends un verre avec Constance ». Pour lui, ça signifiait un retour vers vingt-trois heures, minuit au maximum. Depuis qu'ils avaient les enfants, Sarah ne traînait jamais beaucoup plus tard. Mais voilà, il était deux heures maintenant, et elle n'était pas là. Il avait envoyé un message, il avait appelé, en vain. A présent, il hésitait sur ce qu'il devait faire.

A trois heures, après avoir atterri une nouvelle fois sur le répondeur de Sarah, il se décida à appeler Constance. Que sa femme et sa meilleure amie aient eu beaucoup de choses à se dire ne le dérangeait pas ; en revanche, il était agacé que Sarah n'ait pas pensé à le prévenir de son retard. Elle savait pourtant qu'il détestait l'imprévu. Il se rendit dans le salon pour ne pas réveiller les enfants et chercha le numéro de Constance dans son répertoire.

Une sonnerie...

Au moins, le portable n'était pas coupé. C'était déjà un bon début. Sarah se plaignait souvent que sa meilleure amie coupait son téléphone la nuit ou lorsqu'elle avait besoin de tranquillité, ce qui empêchait toute communication.

Deux sonneries...

Cela dit, Constance avait aussi la sale manie de mettre son portable en silencieux, auquel cas elle n'entendrait rien. Il se demanda ce qu'il ferait si elle ne décrochait pas. Il était incapable de se rendormir dans ces conditions.

Trois sonneries...

A cinq, il raccrocherait. Inutile de laisser un message rageur sur le répondeur. Constance n'y était pour rien si Sarah avait oublié de lui dire qu'elle allait rentrer plus tard que prévu.

Quatre sonneries...

C'était foutu. Elles devaient être en pleine discussion, peut-être même avec en fond la musique au volume maximum. Constance n'avait pas d'enfant, elle pouvait se permettre.

Cinq sonneries.

Valentin posa le doigt sur la touche de fin d'appel. Et soudain, une voix devança son geste.

— Allô ?

La voix était pâteuse. Engourdie de sommeil. Aucun bruit en arrière-plan. Ce n'était pas la réponse d'une femme que l'on interrompt en pleine soirée. Les sens de Valentin se mirent aussitôt en alerte.

— Euh, Constance, je te réveille ?

— Non, tu crois ?

Elle était tendue. Sa réponse sarcastique et le ton railleur qui l'accompagnait en étaient les meilleurs indicateurs, elle qui avait toujours été d'une douceur exemplaire. Mais Valentin n'aurait su dire si c'était parce qu'elle était inquiète ou irritée de son appel. Les deux, peut-être.

— Il y a longtemps que Sarah est partie de chez toi ? demanda-t-il.

L'hésitation qui suivit ne lui échappa pas. Son cœur s'emballa aussitôt, indépendant de sa volonté.

— Constance ?

Pas de réponse. Face au silence qui s'éternisait, le ton de Valentin se fit plus pressant.

— Constance, réponds-moi. Quand est-ce que Sarah est partie de chez toi ?

Le mutisme de Constance se prolongeait, et Valentin se sentit affreusement mal à l'aise. Des images jaillissaient, le heurtant, le tourmentant. La voiture de Sarah renversée dans un fossé. Des sirènes et des ambulances. Des gendarmes sonnant à sa porte, le visage grave. Lui, annonçant aux enfants que maman avait eu un accident. Il se rendit soudain compte qu'il était en apnée et tenta de repousser ces pensées parasites. D'abord, se concentrer sur la réponse que Constance allait lui faire. Ensuite seulement, il s'autoriserait à céder à la panique.

— Valentin, finit par bredouiller Constance d'une petite voix. Je... je ne sais pas comment te le dire mais... Sarah n'est pas venue chez moi ce soir. Ça fait une semaine que je ne l'ai pas vue.

Le temps s'arrêta brusquement, tout comme le cœur de Valentin qui sentit le monde s'écrouler autour de lui. Il s'était imaginé plein de choses, mais pas ça. Cette éventualité n'avait pas fait partie de ses suppositions. Et les pensées affluaient à présent, toutes en même temps, trop nombreuses, trop confuses, parfois tout simplement trop dures à admettre pour qu'il parvienne à y mettre de l'ordre.

Il se vit les repousser à coup d'affirmations idiotes.

Non, Sarah ne lui avait pas menti. Il avait juste mal compris. Il avait entendu « Constance » alors qu'elle avait dit... Il chercha dans les prénoms des amis de sa femme une sonorité approchant celle de Constance, mais n'en trouva aucune.

Ou bien alors, elle lui avait menti pour une bonne raison. Par exemple, elle était en train de préparer une fête surprise avec tous ses amis pour son trente-deuxième anniversaire... anniversaire qui avait eu lieu trois semaines plus tôt, et qu'il avait déjà dignement fêté avec ces mêmes amis.

Rien de tout ça n'avait de sens.

— C'est ridicule, protesta-t-il à voix haute.

— Je suis désolée, répondit Constance à l'autre bout du fil, pensant qu'il s'adressait à elle. J'aurais aimé t'apporter une autre réponse.

Ne sachant quoi dire, quoi faire, comment expliquer cette monstrueuse incompréhension, et ne voulant surtout pas entendre de la bouche de Constance les propres doutes qui l'assaillaient, Valentin lui raccrocha brusquement au nez.

Ensuite, mécaniquement, il s'assit dans le canapé et lança Fifa. Puis il se focalisa sur son match en s'efforçant de ne penser à rien d'autre, et en attendant que le temps passe.


Je choisis de t'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant