Chapitre 8

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Août 2009

    

Je ne sais pas si c'est l'alcool, ou la rage, ou bien les deux, mais je suis incapable de me rappeler comment j'ai atterri dehors. J'ai juste le souvenir d'une porte qui claque, et maintenant je suis là toute seule comme une gourde sur le parking.

C'est la voiture qui a tout pris.

Pas la mienne – Valentin ne m'aurait jamais pardonné – juste une pauvre Twingo qui passait par là et qui n'avait rien demandé à personne. Je l'ai bourrée de coups de pieds et d'insultes comme si j'avais eu Marie en personne en face de moi.

Je hais cette fille.

Chacune de mes cellules la hait.

La dernière fois, je croyais déjà la détester, mais à côté de ce que je ressens aujourd'hui, je me rends compte que ce n'était rien.

Je ne comprends pas comment j'ai fait pendant toutes ces années pour rire avec elle, me confier à elle, sans voir cette affreuse facette de sa personnalité.

Et puis, je hais Vence. D'avoir aussi vite tourné les yeux vers une autre que moi. Vers elle, en particulier. De m'avoir fait croire que j'avais pu attirer son attention, que j'avais pu... lui plaire. De n'avoir finalement été qu'un pauvre mec comme des millions d'autres, derrière le type gentil, délicat et rarissime qu'il semblait être.

La déception est grande.

Mais surtout, surtout, je me hais, moi. D'avoir été sensible à son charme. Et de l'être encore, vu la terrible vague de jalousie qui vient de me submerger. Je m'en veux de ne pas être capable de me contenter de Valentin. De savoir que je risque de le blesser, de le briser, et de ne pas réussir à m'arrêter pour autant. Je m'en veux d'être si faible.

La première personne qui vient me retrouver est la dernière personne que j'avais envie de voir.

Marie.

Lorsqu'elle arrive à ma hauteur, je la fusille du regard en essayant mentalement de la pulvériser. En vain, bien entendu. Pour sa part, elle se contente de me jeter un coup d'œil narquois, assorti d'un rictus qui me met hors de moi. Mais à présent que j'ai passé mes nerfs sur la Twingo, je parviens à me contrôler sans trop de difficulté.

— Tout le monde là-haut se demande ce qui t'est arrivé, me dit Marie le plus innocemment du monde.

— Et qu'est-ce que tu leur as répondu ?

— Que tu étais juste bourrée et que tu devais avoir envie de vomir.

Elle rit, puis ajoute :

— Vu la quantité de punch que tu t'es enfilé, je ne dois pas être loin de la vérité !

Je ne réponds pas. Je cherche comment lui dire de dégager sans me mettre à l'insulter.

— Plus sérieusement, reprend-elle brusquement en arrêtant de rire, tu ne crois pas que tu abuses un peu ?

Je manque de m'étrangler.

— Excuse-moi ?

— Je sais très bien pourquoi tu as pété ton câble comme ça, devant tout le monde. C'est parce que tu m'as vue en train de discuter avec Vence, et que ça t'a rendue jalouse.

Les mots se bousculent dans ma bouche.

J'ai envie de lui répondre qu'elle se trompe, que c'est ridicule et que je ne suis pas jalouse, enfin en tout cas pas de Vence et elle en train de flirter dans un coin du salon ; mais en fait si, bien sûr, je suis jalouse, faut voir comment elle l'a allumé aussi ! Comment est-ce que je pourrais ne pas être jalouse ?

Mais je ne réponds pas. Je garde le silence un long moment, parce qu'il y a toujours tous ces noms d'oiseaux dont j'aimerais l'affubler et qui menacent à tout instant de déborder.

— Tu ne discutais pas, tu le draguais.

C'est finalement tout ce que je réussis à dire. Un constat affligeant. Je me maudis de ne rien avoir trouvé de plus constructif ni de plus intelligent.

— Et alors ? me rétorque-t-elle.

Nouveau silence. Celle-là, je ne l'avais pas vu venir. Elle ne nie même pas ! J'hallucine. Je me demande à quoi elle joue exactement.

— Aux dernières nouvelles, ajoute Marie un peu plus sèchement, je suis célibataire et toi déjà casée depuis un moment. Ce qui implique, si je ne me trompe pas, que je suis en droit de draguer tout beau mec passant à ma portée... contrairement à toi.

J'aimerais répliquer, mais elle ne m'en laisse pas le temps. Elle se rapproche de moi et me toise.

— Tu sais que tu m'insupportes vraiment depuis quelques temps ?

— Moi ? dis-je bêtement.

— Oui, toi ! Tu as trouvé ce que tout le monde cherche : la perle rare. Un mec parfait, beau, fort, gentil, réglo... Mais non, toi, ça ne te suffit pas ! Une autre perle rare passe à ta portée et pouf, toi tu crois que ce mec-là aussi t'appartient ?

J'aimerais lui dire qu'elle ne sait pas de quoi elle parle. D'abord, que Valentin n'est pas « parfait ». Et puis aussi que je n'ai rien décidé du tout. Que je n'ai rien contrôlé. Que ce serait trop facile si c'était juste une question de volonté et que l'émotionnel ne rentrait pas en ligne de compte. Mais ce serait avouer que Vence me plaît, du moins qu'il ne me laisse pas insensible, et ça, il en est hors de question. Je suis piégée. Furieuse, je me mure dans le silence.

Malheureusement, ce n'est pas le cas de Marie qui continue de m'asséner mes quatre vérités sans prendre ne serait-ce qu'une seconde pour respirer :

— Sauf que tu vois, Sarah, ben j'en ai marre. Marre que tu ne te rendes pas compte de ta chance, et que tu continues de faire comme si tout t'était dû. Y'a longtemps que j'aurais dû te le dire.

La stupeur interrompt mes pensées. C'est comme un bol d'eau glacée jeté en pleine figure le matin au réveil. Moi, faire comme si tout m'était dû ? Est-ce que c'est vraiment l'image que je renvoie auprès de mes amis ? Est-ce que c'est ainsi que les gens me voient ? J'en ai les larmes aux yeux.

— Moi aussi, je suis mignonne, poursuit Marie, déterminée, sans se préoccuper de ce qui se passe dans ma tête. Moi aussi, je suis sexy. Je sais bien que je leur plais, aux mecs. Alors pourquoi est-ce que je n'aurais pas ma chance ?

Elle respire enfin un grand coup, puis continue :

— Du coup, j'ai décidé un truc. Il y a deux beaux gosses à portée de main, et nous sommes deux jolies filles à combler. Le calcul est simple, non ? Tu en prends un, je prends l'autre. Et comme je suis bonne joueuse, quand même, je te laisse l'avantage du choix.

Je la regarde, éberluée.

Elle plaisante, là, j'espère.

Mais non. Marie ne plaisante pas. C'est carrément une déclaration de guerre. Elle me plante son regard le plus dur au fond des yeux.

— T'as compris, Sarah ? Ce que ça veut dire ?

— Je...

Je suis incapable d'aligner deux mots. Et l'alcool n'y est pour rien. Je suis simplement en état de choc.

— Je te laisse le choix, conclut Marie. Si tu veux garder Valentin, moi ça me va, je suis pas difficile, je prends Vence. Tu préfères Vence ? Pas de problème. Je me ferai une joie d'aller consoler Valentin. Marché conclu, donc ?

Elle me tend une main que je ne serre pas, puis elle me souhaite une bonne soirée, et retourne à l'appartement sans un regard en me laissant effondrée derrière elle.


Je choisis de t'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant