Chapitre 10

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Août 2009


Je pensais que ma volonté allait faire barrière, comme la dernière fois. Que ma conscience allait me rappeler à l'ordre. Mais ce soir, rien n'y fait. Je suis incapable de me défaire de l'emprise de Vence. Ses mains se sont posées sur les miennes, je ne les ai pas retirées. Le simple contact entre ses doigts et les miens me plonge dans une extase que je ne saurais décrire. Mon visage repose toujours contre sa chemise trempée de mes larmes. Je me sens apaisée.

Malgré moi, je sens que mon corps se presse contre le sien.

— On... on devrait peut-être retourner voir les autres, chuchote brusquement Vence.

Je comprends qu'il a peur que les choses dérapent, là, maintenant, à cinquante mètres à peine de l'appartement où mon mec et tous nos amis sont en train de s'amuser.

— Oui, dis-je à contrecœur. On devrait.

Mais aucun de nous ne fait un geste. Malgré notre bonne volonté apparente, nous sommes toujours là, serrés l'un contre l'autre, dans le silence relatif de la nuit citadine. J'entends Vence soupirer avec une profonde frustration. C'est un son d'une extrême sensualité, et l'infime courant d'air qu'il produit contre ma tempe suffit à me faire frissonner.

— Si on reste là, murmure de nouveau Vence, je ne vais pas réussir à me contrôler.

Je suis surprise de son aveu. Je n'avais pas imaginé que les choses puissent être dites ainsi, avec autant de simplicité. Sans changer de position, je tourne mon visage vers le sien et je croise son regard brûlant. Le mélange d'émotions que je peux y lire me bouleverse profondément.

Du désir.

De l'angoisse.

De l'espoir.

De l'amour ?

J'ignore ce que reflètent mes propres yeux, mais à peu de choses près, cela doit être similaire. Le temps se suspend brusquement.

Je sais ce que signifie ce regard.

C'est celui qui précède la première rencontre des lèvres, prémices de la fusion de deux êtres en un seul. Celui dans lequel on se dit tout ce qu'on ne parvient pas à exprimer par les mots.

Mon cœur cogne contre mes côtes comme s'il voulait prendre de l'avance et rejoindre celui de Vence. En l'espace d'une seconde, je visualise déjà la scène qui va suivre. Son visage qui se penche doucement. Mes paupières qui se ferment, mes lèvres qui se tendent aux siennes. Le contact chaud et lisse de sa bouche transformant mon sang en magma bouillant.

 Une porte qui claque.

 Des pleurs à n'en plus finir.

Je tressaille. Pourquoi ces souvenirs reviennent-ils à la surface ? Pire : pourquoi reviennent-il maintenant ? Face à moi, Vence fronce les sourcils. Il a remarqué mon changement d'attitude.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demande-t-il.

— Rien, je...

J'essaie de me ressaisir, de retrouver l'état d'esprit qui m'habitait il y a encore deux secondes. Où en étais-je ? Ah oui. Le contact chaud et lisse de sa bouche transformant mon sang en magma bouillant.

 De l'alcool qui coule à flots.

 Des corps contre le mien.

Je ferme les yeux, perturbée. Non ! Je n'ai pas envie de me rappeler de ça ! C'est une époque révolue. Tout cela appartient au passé. J'ai tout enfoui dans ma mémoire depuis des années.

— Princesse, ça va ?

Je recule et me dégage des bras de Vence. De toute façon, le charme est rompu. Je suis aussi furieuse que décontenancée.

Merde, mais pourquoi a-t-il fallu que ces putains de souvenirs viennent me hanter à ce moment précis ? Après tant de temps passé à les gommer, les uns après les autres, il est hors de question que ces bribes de passé reviennent gâcher ma vie !

 Des nuits interminables.

 Une honte diffuse.

Il faut que ça s'arrête. Je me prends la tête entre les mains. J'ai une terrible envie de hurler, mais j'essaie de me contenir. Ce n'est que le passé, rien que le passé.

Une autre Sarah.

Une autre vie.

 L'envie de crever sur place.

 De l'alcool, encore.

Impossible d'arrêter le film. C'est comme si le bouton « on » était resté bloqué.

Le contact que je sens sur mes lèvres est celui d'une autre bouche. C'est un autre parfum qui vient pénétrer mes narines. D'autres mains qui enserrent mes bras. Le sang bat à mes tempes.

J'entends un cri.

Puis la voix de Vence :

— Sarah, tu es toute blanche. Qu'est-ce qu'il y a ?

C'est curieux, il a l'air à la fois tout proche et très lointain. Je cligne des paupières. Je ne veux pas de sa présence. J'ai juste envie de m'enfuir pour réfléchir au calme. Je ne comprends pas pourquoi, après deux ans de tranquillité, ce qu'il y a de pire en moi a jailli ce soir comme un diable hors de sa boîte. Pourtant, Vence n'a rien en commun avec lui. Ni physiquement, ni d'aucune autre façon.

Je me lève pour partir. Tout tangue autour de moi. J'ai peut-être bu plus que je ne le croyais, en fin de compte. Le paysage bascule devant mes yeux et mes pensées s'arrêtent là. J'ai l'impression de m'évaporer tandis que je heurte le sol.


Je choisis de t'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant