Chapitre 2

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Juin 2009

    

Il est presque quatre heures du matin lorsque nous quittons enfin les lieux. L'air frais de la nuit me fait du bien, mais je suis toujours perturbée par ma rencontre, et plus encore par les insinuations de Marie qui me poursuivent jusque dans la voiture.

— Allez, avoue qu'il te plaît...

— Sérieux Marie, tu peux pas me lâcher deux secondes ? On ne faisait que bavarder, ok ?

Cette dernière phrase, c'est au moins la dixième fois que je la prononce, et il est amusant de constater que plus je l'affirme, plus j'y crois. J'ai déjà presque oublié la chaleur du sourire de mon bel inconnu et son effet sur mon rythme cardiaque. Il ne me reste de lui que quelques bribes de discussion, et en particulier un commentaire légèrement vicieux – mais réaliste – au sujet des effets de l'alcool sur Marie.

— Bavarder ? Vous vous bouffiez du regard, oui !

— J'ai déjà un mec, dis-je sèchement pour couper court avant que cela ne dégénère. Et puis je ne connais même pas son nom, à ce type.

— Il s'appelle Vence.

Cette fois, c'est Constance qui a parlé. Surprise, je délaisse la route un court instant pour l'observer dans mon rétroviseur.

— Tu le connais ?

— C'est un ancien collègue de Matéo. Il vient de s'installer dans le coin, il a son appart' à deux rues de chez nous.

Elle esquisse un sourire malicieux, puis ajoute :

— Tu risques de le revoir souvent.

Je sens que les filles guettent ma réaction. Marie glousse déjà comme une idiote à l'arrière. Mais au risque de les décevoir, l'annonce me laisse de marbre. Peut-être parce que je suis consciente que, la prochaine fois que je croiserai Vence, je serai probablement accompagnée de l'homme qui partage ma vie depuis un peu plus de deux ans. Rien de tel pour remettre les pieds sur terre et couper court à tout fantasme. Je me contente donc de hausser les épaules en ajoutant – surtout à l'intention de Marie :

— Tant mieux, il est sympa. Et je pense qu'il devrait bien s'entendre avec Valentin. Ils ont à peu près le même humour.

Mon ton est plus sec que je ne l'aurais voulu, et la remarque met brutalement fin à la discussion. Un silence pesant s'installe dans la voiture, qu'aucune de nous n'ose briser. Heureusement, le trajet est court. Dix minutes plus tard, je suis soulagée de déposer les filles devant leurs immeubles respectifs.

En repartant de chez Constance, je ne peux m'empêcher de jeter un œil sur les bâtiments alentour, en me disant que Vence habite là, quelque part, à proximité.

Cela me fait tout drôle. Dire qu'il y a quelques heures à peine, je ne savais même pas qu'il existait, et je m'en portais très bien. Enfin, oui, j'étais un poil remontée contre Valentin et sa console ; et contre sa nouvelle défection, aussi ; et contre tous les alcoolos de la soirée qui se bidonnaient sans moi, bien sûr. Mais ce n'étaient que des broutilles, et je sais que je m'en serais remise très vite.

Alors que là... Je ne sais pas vraiment comment l'expliquer, mais les sentiments qui m'habitent sont plus profonds que juste un énervement passager provoqué par une soirée pénible.

En particulier, je pense que ma relation avec Marie en a pris un coup ce soir. Maintenant qu'elle est rentrée chez elle et que j'ai l'esprit un peu plus libre pour réfléchir, je me rends compte à quel point elle m'a énervée. J'ai beau savoir qu'elle était ivre, cela reste vraiment indélicat de sa part. Ce n'est pas comme si elle ignorait que je suis en couple ! Et depuis un bon moment, en plus... Je ne sais même pas ce qu'elle cherchait avec ses commentaires débiles. Une scène conjugale ? La séparation ? En aurait-elle marre d'être la seule célibataire de la bande ? Je réalise brusquement ce que je suis en train de dire et j'essaie de chasser ces pensées mesquines de mon cerveau.

Quant à Valentin, je dois bien avouer que cette rencontre impromptue n'a pas aidé à me défaire de mon ressentiment envers lui.

Parce que contrairement à celui qui jure qu'il veut passer sa vie à mes côtés, Vence était réellement là, lui.

Parce que contrairement à l'homme qui partage mon quotidien mais à qui il faut toujours trois jours pour se rendre compte quand je fais la gueule, Vence a tout de suite vu que je n'étais pas dans mon assiette.

Parce que contrairement à l'amoureux transi qui aurait été prêt à prétexter n'importe quoi pour ne pas m'accompagner à cette soirée, Vence est venu me tenir compagnie au moment où je me sentais seule.

Parce qu'il a tenu à me faire rire.

Parce qu'il m'a dit quelque chose de gentil.

Parce qu'il m'a regardée.

Toutes ces choses que Valentin ne fait plus depuis longtemps.

Ce constat me perturbe, me taraude, me chiffonne... et quand je me gare devant chez moi, j'ai les nerfs. Je ne sais pas si c'est la fatigue, l'attitude de Marie, les questions qui tournent en boucle dans ma tête ou le mélange de tout ça à la fois, mais j'ai soudain envie de péter un câble.

J'ai envie de crier.

D'engueuler quelqu'un, comme ça, pour rien.

Envie de pleurer, aussi.

Je pousse la porte de l'immeuble, grimpe les marches par paquets de trois et tourne la clé dans la serrure de l'appartement. En poussant la porte, au lieu du noir complet et d'un silence relatif ponctué de ronflements, je découvre de la lumière dans le salon. Ma tension s'élève encore d'un cran. Je m'avance, curieuse et irritée d'avance.

Sans trop de surprise, je tombe sur Valentin, endormi dans le canapé devant la console allumée. Les joueurs de Fifa sont figés sur l'écran. La manette est encore dans sa main, son menton repose sur son torse. Il a un petit filet de bave qui lui coule sur le menton. D'habitude, cela me fait rire mais là tout de suite, j'en suis dégoûtée. La colère monte, j'en ai des fourmillements dans les doigts. Je repense à toutes les fois où il m'a fait le coup ; toutes les excuses qu'il a pu me trouver.

Et puis les émotions de la soirée refont surface, se bousculent, se mélangent...

Et j'explose.


Je choisis de t'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant