Chapitre 3

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Juillet 2009

    

Il est là. Vence est là. Mon corps, ce traître, l'a repéré avant mon cerveau et je me retrouve avec les mains moites et le cœur qui bat sans même comprendre ce qui me met dans cet état. Puis je l'aperçois, à l'autre bout du jardin, en train de discuter avec Matéo. Il a revêtu une chemise bleu roi assortie à ses yeux, et un costume sombre qui contraste avec ses cheveux blonds. En un mot, il est classe. Superbe.

Je ne pensais pas que le revoir me ferait un tel effet. J'étais restée sur ma certitude de la dernière fois : on ne faisait que parler. D'ailleurs, le mois qui vient de s'écouler aux côtés de Valentin, reléguant Vence au rang de « souvenir agréable », n'a fait que renforcer cette impression ; et pour preuve, dans ma mémoire, Vence n'était pas aussi mignon. Comme quoi, on arrange bien les choses comme on veut dans notre tête, sans même s'en rendre compte.

Comme par hasard, malgré quelques efforts consentis au cours de ces dernières semaines, Valentin s'est encore défilé pour aujourd'hui. Que l'on fête l'anniversaire de Matéo, un ami de très longue date, ne semble pas avoir eu raison de son histoire d'amour avec le trio canapé-console-télé. Et que sa chérie – moi, en l'occurrence – l'ait supplié un million de fois de venir à cette journée mémorable, n'a pas non plus pesé dans la balance.

C'est donc avec une certaine appréhension mêlée d'excitation que je viens saluer les garçons.

Matéo me serre dans ses bras, ravi de me voir. Face à son enthousiasme, je me sens obligée de justifier une nouvelle fois l'absence de Valentin, à grands renforts de « son boulot le fatigue énormément » et de « il aurait vraiment aimé venir, mais il n'était pas d'attaque ». Mais Matéo ne me laisse pas terminer mon couplet.

— Sarah, arrête. Je suis pas vexé, je connais Valentin. Les grands rassemblements et lui, ça fait deux. Je sais qu'il viendra m'offrir une bouteille à cinquante euros dans deux jours pour se faire pardonner.

Je ne peux m'empêcher de sourire. Voilà qui décrit plutôt bien mon homme, en effet. Infoutu de participer à la fête en même temps que tout le monde, mais capable de dépenser une fortune en solitaire pour faire plaisir à un ami.

Vence se penche à son tour vers moi pour me saluer d'une bise sur la joue, et lorsque je croise ses grands yeux bleus qui m'observent intensément, je ne peux m'empêcher de frissonner.

— Alors, me murmure-t-il à l'oreille, si je comprends bien, tu es encore toute seule ?

Je rougis devant l'allusion, me rappelant comme si c'était hier de la réponse désastreuse que je lui avais alors donnée, mais je décide de le prendre avec humour et je lance :

— Non ! Enfin, si. Enfin, non. Bref, tu vois ce que je veux dire.

Il éclate de rire et malgré moi, je sens que je commence à avoir chaud. C'est dingue, ça. Même son rire me perturbe.

Je pense brusquement à Valentin qui m'attend à l'appartement, et sans expliquer mon revirement à Vence, je m'éloigne en silence.

Le repas se déroule dans une ambiance joyeuse. Je suis assise entre Marie et une fille que je ne connais pas, on discute de tout et de rien, on mange, on boit, on rit. Vence est à l'autre bout de la table, c'est à peine si je le vois et tant mieux. Je sais que si j'avais été près de lui, je n'aurais pu me concentrer sur rien d'autre.

Au moment du dessert, vers le milieu de l'après-midi, Constance et Matéo se lèvent pour l'arrivée du dessert et des bougies. Ils ont fait fort : un véritable gâteau à l'américaine, recouvert de pâte à sucre, en forme d'Homer Simpson. Tout le monde se lève, chante, rit, applaudit. Matéo souffle ses bougies. C'est le meilleur moment de la journée. Enfin, sauf pour moi. Car à présent que je suis debout, mon champ de vision s'est libéré et comme par hasard, je me retrouve avec Vence en ligne de mire.

Evidemment, malgré tous mes efforts pour paraître indifférente, je ne peux détacher mon regard de lui. L'inverse aurait été trop facile.

Ce gars a quelque chose qui me fascine. Son assurance, sa voix, son rire, ses yeux... Ses yeux, surtout. Leur couleur franche et limpide à la fois, un bleu profond dans lequel j'ai l'impression de me perdre. Et sa façon de me dévisager, comme s'il lisait en moi avec une indécente facilité. Là, par exemple, il est en train de me regarder et j'ai beau protester intérieurement, ça me chamboule, ça fait remonter des choses en moi depuis le bas du ventre jusqu'en haut du dos, comme un long frisson qui ne s'arrêterait jamais.

— Tu recommences ! souffle une voix narquoise.

Je sursaute et je me retourne vers la personne qui a parlé. C'est Marie, hélas, toujours Marie, qui passe de Vence à moi et de moi à Vence en essayant de savoir lequel de nous deux a commencé les hostilités. Immédiatement, je remets les pieds sur Terre – je me rappelle notamment que je suis en couple avec Valentin – et je la fusille du regard, comme pour la punir de son vilain sens de l'observation.

— Je recommence quoi ?

— Fais pas l'innocente, Sarah.

Elle secoue la tête, blasée, ricane puis ajoute :

— Les autres peuvent dire ce qu'ils veulent, je suis pas débile. Je vois bien qu'il te plaît, ce mec. Le problème, c'est que t'es déjà avec quelqu'un.

Je la déteste. Je vous jure qu'à ce moment précis, je n'ai jamais détesté quelqu'un aussi fort que Marie. Et le pire, c'est qu'elle continue.

— Je dis ça pour ton bien, Sarah, faut que tu te ressaisisses. Pour l'instant, Valentin est pas là, mais si un jour il est avec toi et que tu regardes Vence comme tu viens de le faire, je peux t'assurer qu'il risque de lui péter la gueule... et qu'il aura raison de le faire.

Haineuse, je la trucide mentalement. J'ai envie de la baffer. J'ai envie qu'elle se taise une bonne fois pour toutes. Que jamais plus de telles paroles ne parviennent à mes oreilles. Je me fiche qu'elle dise la vérité. Dans sa bouche, les mots sortent déformés. Moches. Vides de sens. Je ne suis pas en train de craquer pour Vence. Il me fait de l'effet, et alors ? Quelle femme n'a jamais levé les yeux vers un autre que l'homme qu'elle aime ? Et j'aime Valentin. Non mais qu'est-ce qu'elle croit, cette idiote ? Bien sûr que je l'aime.


Je choisis de t'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant