Chapitre 1

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Juin 2009 – sept ans plus tôt


La nuit n'en finit pas. J'ai l'impression de ne m'être jamais autant ennuyée de toute ma vie. A tous ceux qui ont déjà été le seul et unique Sam d'une soirée en compagnie de quinze personnes bourrées, sachez que je comprends votre douleur.

Il y a dix minutes, les gars ont joué à qui pisserait le plus loin par-dessus le balcon, et ça a fait rire tout le monde. Moi, j'ai trouvé cela pitoyable. Comme quoi, deux grammes d'alcool dans le sang peuvent faire une énorme différence en matière d'humour.

Valentin n'est pas là, bien sûr. Il a encore trouvé un prétexte pour décliner l'invitation. Aujourd'hui, c'était la fatigue.

— Tu comprends, ça fait plusieurs nuits que je dors mal, j'ai un gros manque de sommeil.

Ben voyons. Forcément, en jouant à Fifa jusqu'à deux ou trois heures du mat', on accumule un peu de retard en matière de récupération. Mais bon, je n'ai pas insisté. Je commence à le connaître, mon homme : s'il était venu, il aurait fait la tronche toute la soirée. Il a une nette tendance à se transformer en ours grincheux quand on le force à faire quelque chose dont il n'a pas envie. J'ai donc abandonné la bataille, en me promettant cependant de lui passer un savon si au moment de rentrer, je le retrouve dans le canapé scotché à sa console.

En attendant, je suis là à siroter mon dixième jus d'orange, assise sur un coin de table au milieu d'un salon surchauffé, et je m'ennuie. J'en veux quand même un peu à Valentin de m'avoir abandonnée. Ses désistements sont de plus en plus fréquents et quand je me vois ainsi, seule, entourée de couples que l'alcool a rendus plus que fusionnels, j'ai presque l'impression d'être redevenue célibataire.

J'en suis à me demander ce que je pourrais inventer pour convaincre Constance et Marie de quitter prématurément les lieux, quand quelqu'un vient s'adosser à la table, à côté de moi. Un type blond aux yeux bleus que je n'identifie pas.

— Salut, me dit-il.

— Salut.

— Ça va ? Ça n'a pas l'air d'aller.

Contrairement aux autres, il n'a pas l'air trop ivre et moi j'hésite. Est-ce que mon ennui se voit à ce point sur ma figure ? Ou mon ressentiment vis-à-vis de Valentin ? Je me sens un peu bête. Je tente de lui servir le sourire de celle qui passe la meilleure soirée de sa vie, mais je sens que ça coince.

— Tu es toute seule ? ajoute gentiment le gars.

— Non, dis-je aussitôt. Enfin, si. Enfin, non, j'ai un copain mais oui, là je suis toute seule parce qu'il n'est pas venu.

Je m'embrouille. Je dois avoir l'air ridicule. Et je ne peux même pas prétendre que c'est à cause de l'alcool.

Le gars est sympa. Il n'insiste pas, ni au sujet de Valentin, ni sur mon élocution hasardeuse. Il se contente d'essayer de me faire marrer en me balançant anecdote sur anecdote au sujet de nos camarades de soirée. Et il finit par y arriver, d'ailleurs. Au moment précis où j'éclate de rire après une vanne bien sentie sur les difficultés de Marie à tenir l'alcool, je vois son visage s'illuminer.

— Je préfère te voir comme ça, me dit-il.

Sa remarque est d'une telle douceur, surtout venant d'un parfait inconnu, que ça me fait quelque chose. Je ne sais pas quoi exactement, c'est difficile à décrire. Un fourmillement dans le creux du ventre, le cœur qui bat un peu plus vite... Je crois que je suis touchée. C'est une phrase toute simple, mais qui fait beaucoup de bien à entendre.

Valentin, lui, ne fait pas ce genre de commentaire. Du moins, il ne les fait plus. Au tout début, quand nous avons commencé à nous fréquenter, c'était différent. Il était très attentionné. Mais depuis que nous avons emménagé ensemble, que nous avons pris nos petites habitudes du quotidien, c'est fini. Pour lui, les paroles ne prouvent rien, alors il s'en dispense, tout simplement. Il ne comprend pas que cela puisse avoir une quelconque importance pour moi.

— Je n'aime pas voir une fille malheureuse, ajoute le gars en levant son verre à mon intention. Chaque fois que je vois une fille qui a l'air triste, je fais ce que je peux pour la faire rire.

Je trinque avec plaisir. J'ai du mal à détacher mon regard de ses yeux, qui me scrutent en retour. Il y a quelque chose d'agréable dans sa façon de m'observer, de guetter ma réaction, d'esquisser un sourire chaque fois que mes propres lèvres s'étirent. Je me laisse piéger par le jeu. Autour de nous, l'appartement semble avoir disparu. Le temps s'étire. Marie nous interrompt soudain.

— Eh ben, ça a l'air de coller entre vous ! Faites gaffe, la table va prendre feu !

Je me détourne aussitôt, écarlate. Je suis terriblement gênée par sa remarque, j'ai l'impression d'avoir été prise en train de trahir Valentin. Pourtant, il ne s'est strictement rien passé. Nous étions juste en train de discuter.

J'essaie de faire abstraction du léger trouble dans mon ventre. Bien sûr que nous étions juste en train de discuter ! N'importe quelle personne ici présente pourrait en témoigner. Bon, sauf Marie qui est convaincue que nous étions en train de flirter, mais Marie est bourrée, n'est-ce pas ?

J'ai beau faire, je n'arrive pas à me défaire de mon sentiment de culpabilité.

Est-ce parce que le gars est plutôt mignon ?

Parce que j'ai été sensible à ses commentaires ?

Ou bien parce que malgré tout ce que je peux dire, je suis obligée de m'avouer que son regard ne m'a pas laissée indifférente ?


Je choisis de t'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant