Chapitre 14

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Janvier 2006

    

Une porte qui claque. Celle de mon appartement. Ça y est, il est parti. Mais je ne réagis pas. J'ai beau être seule, sa présence hante encore les lieux. Son parfum surtout. Une senteur boisée, musquée. Elle imprègne l'atmosphère, mes vêtements, mes draps. Cela me donne envie de vomir.

Je sens brusquement la bile acide remonter le long de mon œsophage. Je n'ai pas le temps de courir aux toilettes. Tout le contenu de mon estomac se vide sur le sol, près de moi, en une flaque nauséabonde. Je ne bouge toujours pas.

J'ai l'impression de n'avoir plus aucun réflexe. Plus aucune pensée. D'être un corps sans âme, vidé de toute énergie vitale. Je ne sais pas combien de temps je reste là, comme ça, léthargique. Puis tout à coup, je prends conscience de ce qui s'est passé. Ça vient brutalement, sans prévenir, un peu comme la nausée de tout à l'heure.

Mais cette fois, ce sont des larmes que mon corps vomit. Des sanglots qui m'arrachent la gorge. Des pleurs à n'en plus finir. Cette fois encore, je n'ai aucune idée du temps qui s'écoule. Des heures, peut-être. J'ai l'impression de verser plus de larmes en une seule nuit que ce que certains peuvent produire dans toute une vie.

Quand je finis par m'arrêter, les yeux rouges, gonflés et douloureux, le jour est en train de se lever. J'aperçois un rayon de soleil à travers les volets. Pour la première fois de ma vie, je regrette qu'il n'y ait pas de pluie. J'aurais aimé que le ciel soit en phase avec ma douleur.

Lorsque je me remets en mouvement, mon premier réflexe est d'aller sous la douche. Je me sens sale. Horriblement sale, de l'extérieur comme de l'intérieur. Je me savonne et me frotte tellement l'entrejambe que je me remets à saigner. Tant pis. Tout ce qui compte, c'est d'enlever cette sensation affreuse de l'avoir encore en moi.

Je reste sous la douche jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'eau chaude. J'ai la peau toute ridée et mal au ventre. Je suis épuisée. Je voudrais aller me coucher, mais la simple vue de mon lit imbibé de sang me donne de nouveau envie de vomir.

Dans un geste rageur, j'arrache brusquement les draps et les fourre dans un grand sac poubelle. Je voudrais le porter à la benne, mais la seule idée de sortir me terrorise. Alors, mue par une inspiration soudaine, j'ouvre les volets. Il est encore très tôt. Il n'y a personne dans la rue. Tant mieux. Je balance le sac poubelle sur le trottoir. Je me sens déjà un petit peu moins oppressée.

Les deux actions suivantes consistent à nettoyer la flaque de vomi près du lit et aérer longuement la pièce pour éliminer toute trace de parfum. Et pourtant, malgré cela, je ne parviens toujours pas à m'imaginer m'endormir sur ce lit.

Alors, brisée de fatigue, je fais la dernière chose que je peux faire. Je sors mes vêtements du minuscule placard de la salle de bains, les éparpille sur le sol entre la douche et les toilettes, et je m'allonge sur ce matelas de fortune.

Je dors toute la journée et une bonne partie de la nuit, mais terriblement mal, entre cauchemars à répétition et dos en compote. Lorsque je me réveille, je suis presque aussi fatiguée et encore plus endolorie que lorsque je me suis couchée.

Je décide alors d'ajouter, aux vêtements composant mon nouveau lit, mes serviettes de bain et mon gros manteau d'hiver. Je teste : c'est un peu plus confortable. Avec un peu de chance, cela suffira. Je me recouche, et je parviens à me rendormir tant bien que mal jusqu'au lendemain matin.

Je passe la journée à tourner en rond, à me saouler au Bailey's et à regarder la télévision. Je suis toujours incapable de sortir de mon appartement. La seule idée de croiser quelqu'un, visage connu ou non, me terrifie. Comme si mon drame était écrit en toutes lettres sur mon front. J'ai peur d'affronter leurs regards. D'y lire de la pitié, ou pire : du mépris. D'entendre qu'il a raison, que c'est de ma faute tout ça, que je l'ai cherché. Que je l'ai allumé. Que je suis une salope.

Je reste ainsi pendant deux semaines. Nuits dans la salle de bain. Journées devant la télévision. Le frigo se vide, alors je mange des pâtes matin, midi et soir. Quand il n'y en aura plus, il me restera un paquet de riz. Et puis après, on verra.

La bouteille de Bailey's y passe, celles de vodka et de tequila aussi. Comme je n'ai plus de jus d'orange, je bois l'alcool pur. Au début, cela me brûlait la gorge et me donnait des haut-le cœur, mais au bout de quelques jours, j'en suis venue à apprécier l'état d'ébriété dans lequel cela me met. Ces instants où mon cerveau se met en pause me sont extrêmement précieux. D'ailleurs, les seules nuits où je parviens à réellement dormir sont celles où je me couche ivre.

Et puis un jour, forcément, je me retrouve sans rien à manger, ni rien à boire en dehors de l'eau du robinet. Je ne sais pas ce qui me manque le plus, entre la nourriture et l'alcool. Quoi qu'il en soit, je ne peux pas rester comme ça.

Alors je prends mon courage à deux mains. Je m'habille, mets mon manteau, des gants et une écharpe, et je glisse mes pieds dans mes bottes. Je prends mon sac à main, sors mes clés. J'agis machinalement, comme s'il n'y avait pas eu deux semaines d'interruption depuis la dernière fois où j'ai effectué ces gestes.

J'ouvre la porte de l'appartement. Une bouffée d'air glacial provenant du couloir me saute au visage. J'inspire profondément.

Je sais que j'ai encore le temps de changer d'avis, de refermer cette porte et de retourner me mettre au chaud devant la télé. Mais il faudra bien que je sorte à un moment donné. Et puis, si je fais marche arrière maintenant, je ne suis pas certaine de réussir à me lancer de nouveau.

Je compte jusqu'à trois.

J'expire un grand coup.

Et en quelques instants, je suis sur le trottoir.


Je choisis de t'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant