Chapitre 4

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Juillet 2009

    

La réflexion de Marie m'a rendue boudeuse, et pendant plusieurs heures après le repas, je ne décoche pas un regard à Vence. Par défi, je décide même d'appeler Valentin sur les coups de vingt-trois heures pour prendre de ses nouvelles et savoir à quoi il s'occupe pendant que tous ses amis sont là à fêter l'anniversaire de Matéo.

Il décroche à la troisième sonnerie.

— Ouais ?

— Coucou... ça va ?

Valentin marque une hésitation.

— Ben... oui, pourquoi ?

La voix résonne avec méfiance. Il doit se demander ce que j'ai, peut-être même qu'il croit que je suis bourrée. Je dois reconnaître qu'il n'est pas dans mes habitudes de l'appeler en cours de soirée simplement pour savoir comment il va.

Je cherche rapidement une excuse à mon appel.

— Je... Je voulais te prévenir que je vais sûrement rentrer tard, en fait. On a fini de manger à dix-sept heures mais on a pas mal glandé ; et là, tu vois, il est plus de vingt-trois heures et ils commencent tout juste à mettre la musique.

Ok, c'est un mensonge. La soirée est déjà bien entamée et tout le monde s'éclate, en petits groupes éparpillés un peu partout entre le salon et le jardin. Mais je veux pouvoir traîner un maximum en étant certaine que Valentin ne m'attend pas. Je suis frustrée de n'avoir pas pu parler avec Vence et je ne me vois pas quitter les lieux avant d'être parvenue à mes fins.

D'un coup, je réalise ce que je suis en train de faire et la culpabilité me prend à la gorge, serrant mon larynx comme un étau. Je n'arrive plus à parler. Mais quelle garce ! Appeler mon mec pour faire croire à tout le monde que Vence ne m'intéresse pas, tout en cherchant à rester le plus tard possible histoire de pouvoir passer du temps avec lui... Si n'importe quelle autre fille avait fait ça devant moi, je l'aurais traitée de grosse conne en espérant que le mec en question finirait par ouvrir les yeux et la plaquer.

Sauf que là, on ne parle pas de « n'importe quelle autre fille ».

La grosse conne, c'est moi.

Est-ce que Valentin va ouvrir les yeux, se rendre compte de l'horrible personne que je suis et me plaquer ?

Les larmes me montent aux yeux et à présent, je regrette mon appel. Je me dépêche de souhaiter une bonne nuit à Valentin avant qu'il m'entende renifler, puis je raccroche et je vais m'effondrer dans un coin de la pièce, derrière le canapé, en espérant être suffisamment à l'abri des regards pour ruminer incognito sur ma propre faiblesse.

C'est là que Vence me trouve, environ une heure plus tard, alors que les invités commencent tout doucement à déserter les lieux. Tranquillement, il vient s'asseoir à côté de moi.

— Eh bien, princesse, me demande-t-il en scrutant mon visage d'un air inquiet. Pourquoi tant de larmes dans ces jolis yeux ?

Il a un don, ce n'est pas possible autrement. Rien qu'au son de sa voix, je me sens sourire.

— C'est rien, dis-je. Les choses ne se passent pas toujours comme on voudrait.

Vence n'ajoute rien, ne me demande aucune précision et je lui en suis reconnaissante. Nous restons silencieux un bon moment, puis brusquement, il me prend la main.

— Tu danses ?

— Euh... oui, mais très mal.

Il rit.

— Ça ne fait rien. Je ne suis pas un super danseur non plus. On devrait bien s'accorder.

Je me lève, et mon premier réflexe est de chercher où se trouve Marie. J'ai tout sauf envie qu'elle me voie danser avec Vence. Mais je n'aperçois ni sa silhouette menue, ni ses longs cheveux cuivrés. Avec un peu de chance, elle s'est trouvé un joli célibataire avec qui elle est en train de discuter dans le jardin, et elle ne mettra pas un pied à l'intérieur avant un bon moment.

Près de moi, Vence tire doucement ma main pour m'attirer vers le milieu du salon. Il n'y a pas grand-monde autour de nous. La plupart des invités sont soit partis, soit dehors en train de profiter de la douceur de cette nuit d'été.

Danser sur Feel so close, de Calvin Harris, ce n'est pas évident pour moi. Je n'ai jamais été très à l'aise avec mon corps. Je me sens gauche, pas en rythme, et avec le regard brûlant de Vence posé sur moi, c'est encore pire. Je me fais l'effet d'un manchot en train de se dandiner sur la banquise. Pourtant, il ne se moque pas. Il danse à mes côtés, sans jamais me lâcher des yeux. Il me frôle parfois la main ou le bras du bout des doigts, et chacun de ses mouvements semble en osmose avec la musique. « Pas un super danseur » ? Tu parles ! J'aimerais être aussi mauvaise que lui... On dirait qu'il a fait ça toute sa vie.

Je suis en train de chercher une excuse pour couper court à l'affligeant spectacle que je dois être en train de donner, quand la playlist délaisse Calvin Harris pour passer au morceau suivant sur la liste.

Le temps que je reconnaisse Every breath you take, de The Police, les mains de Vence se sont déjà posées sur ma taille et je sens son souffle dans mon cou. Je frissonne brutalement à son contact. D'un coup, mes jambes deviennent flageolantes, presque incapables de supporter mon propre poids, et je dois m'appuyer sur Vence pour ne pas perdre l'équilibre. Dans le mouvement, mes lèvres se retrouvent à quelques centimètres des siennes. Mon cœur en oublie de battre. Je suis en apnée. C'est comme si mon organisme tout entier était en train de me lâcher.

Aucun de nous ne bouge.

Je lis du désir dans ses yeux. Quelque chose de plus profond aussi. Mais je suis incapable de faire le moindre mouvement.

Après quelques secondes dans cet état de choc, je reprends brusquement mes esprits.

Je ne peux pas faire ça. Je n'ai pas le droit de me laisser aller. Je ne suis pas seule dans cette histoire. Je ne suis pas seule tout court.

Je m'écarte doucement de Vence, sans pour autant le lâcher, et nous commençons à nous mouvoir ensemble sur la chanson.

Tandis que nous dansons, j'essaie de réaliser ce qui m'arrive. Est-ce que c'est vraiment moi qui suis là, dans les bras de Vence ? Est-ce que c'est moi qu'il regarde avec une telle intensité ? J'ai l'impression de voguer dans un monde irréel.

Sa proximité.

Son parfum.

Ses yeux rivés aux miens.

Cette chanson qui transcende tout...

Tandis que le corps de Vence se plaque contre le mien pour me faire évoluer en rythme, je lui abandonne mes derniers instants de lucidité. Dans ce nouveau monde que je découvre, il n'y a plus d'ennui. Plus de peur. Plus de culpabilité. Plus de honte.

Il n'y a que lui, moi, et la musique.


Je choisis de t'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant