Chapitre 13

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Janvier 2006

    

La nuit est tombée depuis longtemps lorsque nous sortons du bar. Je ne suis pas rassurée à l'idée de rentrer seule dans le noir, alors il insiste pour venir avec moi, même si c'est à l'opposé de chez lui. Il dit que j'ai raison : on ne sait jamais sur qui on peut tomber, surtout lorsqu'on est une fille.

Ça fait à peine un mois qu'on se connaît. On est sortis ensemble un peu par hasard à la soirée étudiante de Noël, et on s'est revus une ou deux fois depuis. Il est plutôt mignon. Et gentil. La gentillesse, ça me fait toujours craquer.

On fait le chemin côte à côte en parlant de tout et de rien. Je ne sais pas grand-chose de lui. Il s'appelle Adrien, il est étudiant en troisième année de médecine, originaire de Lyon.

Nous arrivons devant ma porte un quart d'heure plus tard. Avec moins deux degrés à l'extérieur, je suis frigorifiée.

— Te me fais entrer ? demande Adrien.

Difficile de refuser. Il est quand même sympa de m'avoir raccompagnée, il n'était pas obligé, alors je peux bien lui offrir un verre en remerciement. Je le préviens cependant : mon studio est tout petit, le lit fait canapé et je n'ai presque rien à boire.

— Ça ne fait rien, dit-il. Ce sera plus intime.

Et voilà comment, vingt minutes plus tard, je me retrouve assise sur mon lit à côté de cet homme dont je ne sais presque rien, perturbée par un questionnement existentiel. Est-ce que nous allons faire l'amour ? Ai-je vraiment envie de franchir cette étape-là avec lui ? Oui, il est mignon. Oui, il est gentil. Mais je sens que c'est trop tôt pour moi, je ne suis pas prête.

Seulement, comment explique-t-on à un mâle bandant que c'est la première fois et qu'on n'a pas envie que ça se passe dans ces conditions ?

A vingt ans, il va me prendre pour une idiote.

Je sais bien que je ne suis pas en avance pour mon âge. Il va me rire au nez ou bien il va partir en courant, croyant avoir affaire à une bonne sœur.

En même temps que je réfléchis, je repousse machinalement la main qui s'est glissée sous mon pull pour me caresser les seins. Adrien s'interrompt.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

—Euh...

J'hésite. Lui dire la vérité ? C'est un peu la honte. Une étudiante de vingt ans encore vierge, ça va faire le tour de tous ses potes, c'est sûr.

— Je suis désolée, dis-je finalement d'une petite voix, je... je n'ai pas envie... pas ce soir, en tout cas.

— Quoi ?

En l'espace d'une seconde, le ton est devenu mordant et je comprends que je l'ai vexé. Je cherche quelque chose à dire pour mieux faire passer le message, mais il ne m'en laisse pas le temps.

— Tu te fous de ma gueule, là !

Cette fois, la voix est carrément agressive. Je regarde Adrien, choquée. Ses yeux sont durs. J'ai l'impression d'avoir un autre homme en face de moi. Un que je ne connais pas du tout. Qui n'a rien à voir avec l'Adrien prévenant qui a tenu à me raccompagner pour ne pas me laisser marcher seule dans le noir. Comment une telle transformation a-t-elle pu avoir lieu en si peu de temps ?

Il me fait presque peur à présent avec son regard méchant. Sa mâchoire est crispée, comme s'il serrait les dents très fort. Il est méconnaissable. Je me lève pour m'écarter de lui, mais il enroule une main autour de mon poignet pour m'empêcher de m'éloigner. Je me sens soudain prise au piège, mon cœur se met à battre violemment. Adrien m'observe.

— Où tu crois aller comme ça ?

— Nulle part, je...

Il ne me laisse pas parler. Sa main s'est resserrée sur mon bras, il me fait mal à présent. J'essaie de me dégager, mais il est dix fois plus costaud que moi.

— Adrien, arrête !

— Ta gueule !

Il me tire brusquement vers lui, d'un coup sec qui me fait perdre l'équilibre. Ma hanche heurte l'angle de la table, je pousse un cri de douleur, puis emportée par mon élan, je m'écrase à plat ventre sur le lit. D'une main, il me retourne. Je me cogne dans le mur.

— Aïe ! Mais arrête !

Il s'en fiche. Il s'assoit sur mon bassin pour m'empêcher de bouger.

Je sens sa main farfouiller de nouveau sous mon pull. Le souffle court, je ne comprends pas ce qui est en train de m'arriver. Du moins, mon cerveau refuse de comprendre. Mon corps, lui, se débat désespérément. En vain, malheureusement, car Adrien est trop lourd pour que je parvienne à remuer.

— Tu sais comment on appelle une fille qui allume un mec pour lui dire non ensuite ? murmure-t-il brusquement à mon oreille.

Je ne réponds pas.

— Une salope ! crache-t-il, mauvais. Mais rassure-moi, t'es pas une salope, toi, hein ?

Mon cœur cogne contre mes côtes. Ça fait un mal de chien. Je ne sais même pas comment je fais pour continuer à respirer. J'essaie toujours de le repousser avec mes bras, la seule partie de mon corps encore capable de bouger.

— Putain mais reste tranquille ! gronde Adrien. Tu le fais exprès pour m'énerver ou quoi ? Tu crois pas que si tu te laissais aller, ça serait plus agréable pour tous les deux ?

Je tente un dernier essai laborieux, puis je comprends soudain que l'issue est inévitable. Que quoi que je fasse, cela se terminera de la même manière. Les larmes se mettent à rouler sur mes joues.

Et pourtant, une partie de moi refuse de se laisser vaincre ainsi. Comme un message définitif de rébellion, je saisis la main qui est encore en train de me peloter la poitrine, et je la retire de mon corps. La réponse ne se fait pas attendre.

J'entends d'abord le son, qui résonne autant à l'extérieur qu'à l'intérieur de ma tête. Puis je sens la brûlure sur ma joue. Ça irradie tout le visage et jusque dans le cou. Je croise ses yeux ardents, haineux.

— En fait si, dit-il, t'es une vraie salope.

Il profite que je suis sonnée pour se débraguetter et baisser mon pantalon. Ensuite, je ne sais pas ce qui est le plus douloureux. Le corps qui se déchire, ou l'âme qui se brise.


Je choisis de t'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant